Législation éolienne : “supprimer pour simplifier” [2/2]

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Paul Elfassi (DR)
Paul Elfassi (DR)

Entretien avec Paul Elfassi, avocat associé au cabinet BCTG Avocats –

Après 15 ans d’empilement législatif, le projet de loi sur la transition énergétique, voté en première lecture par l’Assemblée nationale, confirme une volonté du législateur de simplifier le cadre réglementaire pour l’éolien. On pourrait cependant aller bien plus loin, assure Paul Elfassi, avocat spécialisé en droit de l’énergie et président du pôle réglementaire du SER.

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GreenUnivers : Que pensez-vous du texte voté le 14 octobre par l’Assemblée nationale ?

Paul Elfassi : Plusieurs éléments laissent croire à un miracle. Tout d’abord l’exposé des motifs, très volontariste et qui annonce « une loi d’action et de mobilisation […] d’ambition et de pragmatisme », bref une loi « d’incitation », qui opte pour « la clarté, la simplicité et la stabilité des règles ». C’est exactement ce que la filière éolienne demande depuis quinze ans !

Ensuite, il y a le titre I qui grave dans le marbre des objectifs ambitieux : porter la part des énergies renouvelables à 32 % de la consommation finale brute d’énergie en 2030 tout en réduisant la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50 %. On est au-delà des ambitions européennes et notamment du paquet énergie climat 2030.

GreenUnivers : Mais… ?

Paul Elfassi : Mais concrètement, le projet de loi comporte très peu d’avancées juridiques ! Quant aux textes réglementaires – plusieurs dizaines de décrets ou d’arrêtés – ils pourront peut-être l’enrichir mais nous savons que, malgré la détermination du gouvernement et les efforts de l’administration, il est difficile de tenir le rythme. Par exemple, il a fallu attendre 2012 pour que … 86 % des 140 décrets prévus par le Grenelle de l’Environnement soient publiés (cf. quatrième rapport annuel au Parlement sur la mise en œuvre des engagements du Grenelle Environnement, 2012)

GreenUnivers : Les motifs de satisfaction sont donc, pour l’instant, limités ?

Paul Elfassi : Concernant l’éolien, on peut signaler l’actuel article 38 bis A, qui introduit une dérogation à la « loi littoral » pour les projets de parcs éoliens situés dans les communes littorales métropolitaines. Un assouplissement qui reste cependant très – trop ! – strictement encadré. D’une part, il exclut une bande d’un kilomètre à compter de la limite haute du rivage. Il exclut aussi les « espaces proches du rivage », qui ne sont pas définis puisqu’ils le sont au cas par cas par la jurisprudence, ce qui maintient une insécurité juridique. D’autre part, les conditions sont strictes, puisque les parcs éoliens ne peuvent pas être implantés s’ils sont « de nature à porter atteinte à l’environnement ou aux sites et paysages remarquables », ce qui donnera inévitablement lieu à des discussions au contentieux. Notons en outre le cas du repowering, pour lequel aucune exception n’est prévue alors que c’est une bonne solution pour les projets proches du littoral. Au final et s’il est bien évident que la « loi littoral » est une loi d’équilibre entre développement et protection du littoral, il me semble que cet ensemble est encore trop timide et flou.

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On peut saluer également l’article 38 ter, qui étend l’expérimentation de l’autorisation unique pour les installations ICPE – dont l’éolien – à tout le territoire. L’autorisation unique constitue un progrès à deux égards : elle doit permettre l’instruction unique et en 10 mois des différentes autorisations nécessaires à l’éolien (autorisation d’exploiter ICPE, permis de construire, autorisation de défrichement, dérogation « espèces protégées »). Et puis, elle ne peut faire l’objet que d’un seul contentieux, dans un délai de deux mois.

Mais, à mon sens, il faudrait pourtant aller plus loin car l’autorisation unique est à droit constant sur le fond, ce qui signifie que les autorisations sont maintenues, ce qui va notamment poser des problèmes pour modifier les projets. Si l’on voulait vraiment simplifier les choses, il faudrait supprimer certaines autorisations redondantes, comme le permis de construire.

GreenUnivers : Quid de l’éolien offshore ?

Paul Elfassi :  Il n’y a rien, ou presque ! Les éoliennes offshore sont les oubliées de ce projet de loi alors que l’on assiste par ailleurs à des déclarations politiques en faveur des EMR. Il est pourtant urgent de prendre des mesures, tant pour conforter le développement des projets existants que pour préparer l’avenir. Il faut comprendre que l’offshore est bien plus compliqué que le terrestre, en raison des incertitudes juridiques et techniques propres au milieu marin. Il faut également tenir compte des contraintes exceptionnelles de financement, chaque projet représentant un investissement de l’ordre de 2 milliards d’euros.  En revanche, l’avantage c’est que tout peut être imaginé, sans crainte de venir bousculer et contrarier un système déjà en place comme pour l’éolien terrestre.

GreenUnivers : Quelles pistes proposez-vous pour simplifier le cadre juridique ?

Paul Elfassi : Je le dis souvent : moins on fait de droit, mieux on se porte ! Malheureusement pour l’éolien, c’est une filière extrêmement judiciarisée : au moins 1500 décisions en 15 ans et un taux de recours de l’ordre de 80 % ! Par ailleurs, la réglementation n’a pas aidé à son développement à cause de modifications répétées du régime applicable, que ce soit en termes de planification ou d’autorisations en droit de l’urbanisme ou de l’environnement, sans oublier la réglementation électrique (obligation d’achat et raccordement). Par exemple, l’empilement des régimes d’obligation d’achat nécessite une certaine gymnastique entre Codoa (Certificats ouvrants droit à l’obligation d’achat, NDLR) « anciens régimes » et Codoa « Brottes », qui se transforme même en sport de haut niveau lorsque les réglementations ne sont pas bien comprises par les acteurs. Ces changements incessants sont incompatibles avec la visibilité indispensable dont ont besoin les professionnels.

GreenUnivers : Faudrait-il créer une réglementation ad-hoc ?

Paul Elfassi : La nouveauté créé de l’incertitude. En général, lorsqu’une nouvelle mesure est adoptée, il faut dix ans pour en maîtriser les effets secondaires, disposer d’une réelle jurisprudence. Au lieu d’ajouter, je pense donc qu’il faut tout simplement supprimer. Et sur ce sujet, il y a de quoi faire en France. Un exemple simple : les intérêts protégés par un permis de construire et une autorisation ICPE se recoupent trop souvent (protection de l’environnement, de la sécurité publique, etc.). La suppression du permis de construire simplifierait les choses sans diminuer l’encadrement de l’éolien.

Un dernier mot, sur la planification. Si l’idée paraît bonne de prime abord, elle présente en réalité de sérieux effets pervers. La planification pose d’abord une question d’échelle : il ne fait pas sens d’identifier des sensibilités à l’échelle d’une région entière alors que les études environnementales nécessitent une analyse fine sur un territoire donné. Ensuite, on pense qu’en identifiant des zones propices à l’éolien, il sera plus facile et plus rapide ensuite d’y installer des parcs ? Il n’en est rien ! Le dernier exemple est celui des ZDE, qui n’ont absolument rien facilité. Bien au contraire, elles ont ralenti le développement éolien le temps d’être créées, puis les projets eux-mêmes, puisqu’elles ont été attaquées et que ce contentieux s’est ajouté à celui des permis de construire.

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