Le verdissement de la finance est rapide, mais doit encore accélérer

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logo-cop22-919x650La finance est une nouvelle fois au cœur des négociations sur le climat de la Cop22, qui s’est ouverte le 7 novembre à Marrakech. Dans l’ouvrage « Climat : un défi  pour la finance »*, Pierre Ducret et Maria Scolan, respectivement conseiller du groupe Caisse des Dépôts pour le changement climatique et directrice de projets climat à la direction de la stratégie de la CDC, racontent le mouvement de verdissement de la finance. Ce livre rythmé et très documenté analyse la prise de conscience récente de l’enjeu climatique par l’univers de la finance, les progrès accomplis et les défis encore à surmonter. Entretien avec les deux auteurs.

GreenUnivers : L’enjeu du changement climatique semble aujourd’hui parfaitement intégré par les acteurs financiers comme en attestent les engagements pris par de nombreux investisseurs dans le monde et leur présence à la Cop22. La rencontre entre environnement et finance n’a pourtant pas été naturelle, comment s’est opéré ce rapprochement ?

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Pierre Ducret (DR)

Pierre Ducret et Maria Scolan : C’est un mouvement rapide, les prémices datent des années 2010. Des débats ont émergé sur la mobilisation de l’ISR au bénéfice du climat, alors que la logique du prix du carbone était moins florissante qu’aujourd’hui. En 2014, Ban Ki-moon organise à l’ONU un Climate Summit qui réunit les patrons des plus grandes entreprises de la planète et, parmi eux, de grands acteurs de la finance mondiale comme Bank of America ou Crédit Agricole. Certains ont commencé à prendre des engagements, à mesurer l’empreinte carbone de leur portefeuille…  Le déclic a eu lieu, ensuite tout s’est enchaîné. Des actionnaires ont fait pression dans des assemblées générales pour demander aux entreprises très émettrices, telles que les producteurs de charbon ou de pétrole, d’élaborer et rendre publiques des stratégies tenant compte du climat. Les grands investisseurs institutionnels américains ont pris le sujet à bras le corps, des groupes comme Total se sont engagés sur l’objectif des 2 degrés. En décembre 2015, l’accord de Paris signé dans le cadre de la Cop21 a permis de franchir une marche de plus : l’article 2 fixe l’objectif de « rendre compatible les flux financiers avec le développement bas carbone ».

GU : Les annonces des entreprises sont nombreuses mais comment faire la part entre communication et vrais efforts ?

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Maria Scolan (DR)

PD – MS : Bien sûr, il y a des effets de communication chez certains acteurs, mais les engagements donnent lieu à un reporting. L’analyse économique joue aussi un rôle important : les coûts d’extraction d’une partie des énergies fossiles progressent alors que le prix du pétrole s’est effondré, et parallèlement les coûts des énergies renouvelables diminuent. Cela fait évoluer les arbitrages. En 2015, pour la première fois,  les énergies renouvelables ont représenté plus de la moitié des nouvelles capacités de production installées dans le monde. Dans les appels d’offres, les prix des énergies renouvelables, notamment du solaire, atteignent des niveaux toujours plus bas, comme au Chili ou en Inde. Ils sont parfois même en-dessous des prix du charbon. Cela ne peut qu’accentuer le verdissement de la finance : les capitaux se portent sur les renouvelables en raison de leur compétitivité.

GU : Est-ce que cette transformation est suffisante pour atteindre l’objectif de limiter le réchauffement climatique « bien en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels » comme le prévoit l’Accord de Paris ?

PD – MS : Non, le rythme n’est pas suffisant. Il faut accélérer, même si cela pose de vrais défis. Une partie des actifs, notamment les centrales à charbon, sont condamnés. Dans certains pays comme la Pologne, cela fait peser un risque pour l’emploi et pour l’indépendance énergétique du pays, ce qui suscite des craintes importantes et donc des résistances. Mais on a l’expérience des grandes mutations industrielles et des financements à mettre en place. Ce sont des mouvements prévisibles, qu’il faut anticiper et préparer. Cela va demander de bien utiliser l’argent public pour accompagner la transition énergétique.

Par ailleurs, si dans les renouvelables, le mouvement de transformation est bien lancé, c’est moins vrai dans d’autres domaines comme l’efficacité énergétique et l’agriculture, dont les modèles économiques sont plus difficiles à financer en raison de la multiplicité de petits projets.

GU : Qui sont les pionniers du verdissement de la finance?

PD – MS : Outre les grands fonds de pension d’Europe du Nord, les assureurs sont les premiers concernés ce qui les place aux avant-postes du mouvement. Il y a déjà plusieurs années qu’ils ont intégré le risque climatique dans leurs projections car il représente de nouvelles menaces très concrètes pour le secteur mais aussi des opportunités : il y a des assurances à vendre, des produits à créer… Du coup, la dynamique s’auto-entretient et les assureurs intègrent cette dimension dans la gestion de leurs portefeuilles.

GU : Et les mauvais élèves ?

PD – MS : Les banques ont été nettement plus lentes à se positionner. Mais à leur décharge, ce sont de grosses machines difficiles à faire bouger et elles ont affronté, en 2008, une crise terrible. Elles avaient d’autres urgences à traiter. Aujourd’hui, il faut qu’elles fassent évoluer leur analyse des risques, leur système d’information pour tenir compte du climat. Certaines l’intègrent déjà notamment de grandes banques commerciales qui évaluent les risques dans leurs portefeuilles de prêts, en témoignent les récentes décisions de Société Générale et du Crédit Agricole de renoncer au financement de projets dans le charbon.

Mais au-delà des grandes institutions, n’oublions pas qu’il existe dans le monde une myriade de petites banques commerciales pour qui les sujets liés au climat ne sont pas familiers. Elles ont besoin d’être évangélisées et accompagnées car elles n’ont pas en interne les compétences nécessaires.

Enfin, l’univers de l’asset management est contrasté : un investisseur sur deux n’a aucune politique climat, les fonds souverains notamment à l’exception, du fonds norvégien  dont la politique climat est un modèle.

GU : Sur le plan de la finance, que peut-on attendre de la Cop22 ?

PD – MS : Du point de vue des négociations, l’enjeu principal reste celui des 100 milliards de dollars par an promis à Copenhague en 2009 par les pays du Nord à ceux du Sud. L’OCDE a évalué à 67 milliards de dollars par an les promesses faites par les pays développés, en net progrès par rapport aux années précédentes. Mais l’important est surtout de mobiliser des financements pour réaliser les investissements qui permettront de maintenir le réchauffement en deçà de 2 degrés. Les financements privés représenteront l’essentiel de ces flux. Il faut aussi que la part des financements destinés aux projets d’adaptation au changement climatique, qui est aujourd’hui de l’ordre de 20% seulement, progresse. Cela dit, la Cop n’est pas la seule instance internationale où le sujet climat est abordé. L’OCDE ou le G20 se sont aussi emparés du thème et c’est une très bonne chose pour faire avancer les dossiers.

L’autre enjeu très important est de réussir une Cop africaine : sensibiliser les acteurs financiers africains pour qu’ils s’engagent eux aussi dans la transition énergétique et la transformation de leurs modèles agricoles. Il y a aujourd’hui des transferts de flux internationaux à destination de l’Afrique, mais cela ne suffit pas : le consensus existe pour que le développement africain repose sur une meilleure mobilisation de l’épargne du continent. Les systèmes et les acteurs financiers locaux doivent se mobiliser pour participer à cette orientation des capitaux, en intégrant le risque climat.

*« Climat : un défi pour la finance », par Pierre Ducret et Maria Scolan, Editions Les Petits matins

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