La BAD, pilier incontournable du déploiement des EnR en Afrique [2/7]

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Dossier AfriqueEntretien avec Amadou Hott, vice-président de la Banque africaine de développement, en charge des sujets électricité, énergie, croissance verte et changement climatique – 

Amadou Hott (Crédit : BAD)

Élu en mai 2015 à la tête de la Banque africaine de développement (BAD), le nigérian Akinwumi Adesina a fait de l’accès à l’énergie la première de ses priorités. Alors qu’un Africain sur deux n’a toujours pas accès à l’électricité, l’institution panafricaine a lancé un « New Deal* » qui doit permettre d’engager pour de bon la transformation énergétique du continent. C’est au sénégalais Amadou Hott, qu’à été confiée la mission d’accélérer les investissements dans l’énergie en Afrique, en associant les acteurs publics et privés du monde entier. Il dirige depuis novembre 2016 un complexe dédié, avec des moyens démultipliés. Cela suffira-t-il ? Il explique sa stratégie à GreenUnivers.

La BAD a 80 pays actionnaires. Elle a pour mission de faire reculer la pauvreté en Afrique et de promouvoir une croissance économique durable (Crédit : BAD)

GreenUnivers : Vous pilotez le complexe énergie de la BAD depuis bientôt un an. Quelle est votre appréciation de la situation en Afrique ?

Amadou Hott : La situation est la suivante : le potentiel en énergie du continent est énorme et la conjoncture paraît particulièrement favorable au développement des énergies renouvelables en particulier. D’abord, le coût des équipements ne cesse de baisser de façon drastique, en particulier dans le solaire. Deuxièmement, le coût de financement de l’énergie verte se réduit également car l’offre de capitaux est très devenue importante – notamment depuis la COP 21 – et la compétition entre les investisseurs permet d’infléchir leurs exigences de rentabilité. Les Etats aussi ont travaillé à l’amélioration du climat des affaires et mis en place des conditions favorables à l’investissement, concourant là aussi à la baisse des primes de risque. Enfin, les énergies renouvelables et décentralisées[am4show have=’g1;g2;g4′ user_error=’Please_Upgrade’ guest_error=’Please_Subscribe’] sont particulièrement adaptées au déploiement de projets off-grid, dans les zones rurales notamment.

Malgré ces signaux très positifs, le manque de ressources financières – ou plutôt l’insuffisance de financements adéquats et innovants – l’absence de cadres stratégiques et réglementaires appropriés et le faible nombre de projets suffisamment bancables limitent sérieusement la portée et la vitesse à laquelle l’électricité est fournie sur le continent.

TOP5 des priorités pour l’Afrique (Crédit : BAD)

GreenUnivers : Quelle est votre stratégie pour booster le déploiement des projets d’énergies renouvelables en Afrique?

Amadou Hott : La BAD ne se focalise pas uniquement sur les énergies renouvelables, mais il est important de noter qu’elles permettent aujourd’hui de réunir plus facilement des co-investisseurs. Or notre volonté est justement de déployer le plus d’outils possibles permettant de dérisquer les projets et ainsi d’attirer d’autres bailleurs. Je souligne qu’avec les 2 Mds$ dépensés en 2017, nous pourrons mobiliser environ 5 Mds$ supplémentaires auprès de nos partenaires, les pouvoirs publics, le secteur privé et les organismes bilatéraux et multilatéraux du secteur de l’énergie. A ce propos, l’Union européenne est un partenaire financier très important et nous prévoyons de créer des instruments financiers pour dérisquer certains projets grâce aux dons qu’elle apporte.

Entre 2014 et 2016, la Banque a augmenté de 1 500 MW la puissance installée totale du continent, environ 10 % provenantt de sources renouvelable.

Un aspect très important selon moi est la préparation, à plusieurs niveaux. D’une part, nous conseillons les Etats en amont pour accompagner le développement du secteur, mettre en place une réglementation qui favorise les projets et attire l’investissement sans créer d’effets d’aubaine. Par exemple, il est important d’avoir une tarification adéquate car sur-subventionner l’énergie n’est pas viable. Il faut aller vers ce qu’on appelle le cost reflective price où le prix final rémunère de façon juste l’investissement et le coût opérationnel. Autre exemple : il est important de prévoir des plans de développement énergétique qui incluent le déploiement du réseau mais aussi le développement off grid. Bien souvent, les États ne soutiennent pas les nouveaux venus du off grid.

Côté projets, la préparation est également très importante et nous accompagnons les entreprises dans cette phase, risquée mais cruciale. Souvent les entreprises n’y pensent pas trop, mais nous avons les outils pour réduire ce risque. Par exemple, nous gérons des fonds fiduciaires comme le Fonds des énergies durables pour l’Afrique (SEFA) qui fait des dons à des développeurs pour qu’ils investissent dans le développement de projets. Nous avons aussi nos propres fonds comme le fonds infrastructures Africa 50 (dont les actionnaires sont la BAD, 25 États africains et 3 banques centrales africaines), aujourd’hui doté de 830 M$ et qui investit en equity ou quasi equity aux côtés de développeurs en amont des projets. Il est important que les entreprises se tournent vers nous dans cette phase car cela leur permet de partager le risque, d’avoir accès à l’Institution très tôt et ensuite d’accélérer la due diligence dans les phases de financement. Les entreprises qui ne le font pas demandent ensuite des rentabilités trop élevées pour compenser le risque et ça n’est pas une bonne solution.

GreenUnivers : Comment faites-vous pour dérisquer les projets ?

Amadou Hott : Ce qui rend les projets risqués, c’est en particulier le fait que les sociétés d’électricité africaines avec qui les développeurs contractualisent sont fragiles financièrement et leur seule signature ne suffit pas à rassurer les bailleurs. L’État doit souvent offrir sa garantie souveraine mais s’il est lui-même fragile, alors c’est nous qui offrons une contre-garantie pour protéger les autres bailleurs en cas de défaut de paiement.

Par ailleurs, nous intervenons sur la partie dette. Nous prêtons à long terme et à des taux d’intérêt faibles mais nous ne sommes jamais seuls. Au maximum, nous prêtons 1/3 du coût total du projet. Par contre, nous pouvons être arrangeur et solliciter notre réseau de partenaires, bilatéraux (AFD et Proparco en France, KfW en Allemagne, par exemple), multilatéraux (Banque mondiale, etc) mais aussi des banques commerciales privées.

GreenUnivers : Quels sont les critères qui président au financement d’un projet par la BAD ?

Amadou Hott : Il faut bien sûr que le projet participe au développement du continent. Ensuite, il faut que le porteur du projet soit très compétent et financièrement solide. Au moment de solliciter la BAD, il faut que les contours du projet soient précis. Le développeur doit avoir signé des accords avec le pays d’accueil, sécurisé du foncier, etc. Nous nous assurons également que l’acheteur de l’électricité est crédible : qu’il s’agisse d’un Etat, d’une utility ou d’une entreprise privé. Quand le développeur est venu nous voir dès la préparation de son projet, cette phase-ci peut-être très rapide car nous l’aurons déjà qualifié en amont.

Approbations de la BAD dans le secteur de l’énergie. Entre 2016 et 2020, la Banque prévoit d’investir 12 Mds$ dans le secteur. (Source : la BAD)

GreenUnivers : Est-il possible aujourd’hui en Afrique de monter un projet sans l’aide de la BAD ou d’une banque de développement ?

Amadou Hott : Le secteur n’est pas encore assez mature pour cela. Le montage des projets nécessite le plus souvent de prendre différentes garanties contre le risque de change et/ou la défaillance des contractants, que ce soit auprès de la BAD ou de l’Agence multilatérale de garantie des investissements (Miga), l’organe de la Banque mondiale. Ces projets reposent en outre sur de la dette long terme pour laquelle nous sommes plus outillés que des banques privés. De plus, compte-tenu de l’entrée en vigueur prochaine de nouvelles contraintes de sécurité pour le secteur bancaire dans le cadre de Bâle III, il est probable que les banques commerciales se retirent de ces projets infrastructures peu liquides et risquées.

Face à cette situation, nous souhaitons que l’action des banques de développement puissent s’intensifier. Par ailleurs, nous souhaitons rééquilibrer nos interventions en étant un peu moins prêteur mais beaucoup plus garant, de façon à attirer des prêteurs institutionnels, tels que les fonds de pension ou des compagnies d’assurance dès le début du projet. Dans le futur, nous voulons aussi revendre certains de nos prêts une fois que les projets sont opérationnels et le risque de construction passé. L’argent ainsi dégagé sera immédiatement réinvesti dans des projets plus risqués.

* Le « New Deal » sur l’énergie en Afrique
Initié début 2016 par la BAD, le “New Deal” sur l’énergie pour Afrique vise à libérer le potentiel énergétique de l’Afrique, en privilégiant un avenir bas carbone. A horizon 2025, la BAD vise notamment à connecter 130 millions de personnes au réseau et 75 millions hors réseau. Un objectif qui ne pourra être atteint sans associer les compétences du public à celles du privé. La BAD a décidé d’intensifier ses investissements dans le secteur, mobilisant 12 Mds$ sur la période 2016-2020 (contre 6 pour 2010-2015), espérant mobiliser 50 Mds$ supplémentaires en cofinancements publics et privés. En outre, elle va tripler ses financements climatiques pour atteindre 5 Mds$ par an à l’horizon 2020, mobilisant ainsi 20 milliards de dollars d’investissements privés et publics. Depuis novembre 2016, le « New Deal » est porté par une équipe dédiée, constituée de cinq départements et une centaine d’experts internationaux.

GreenUnivers : La BAD a-t-elle la bonne dimension pour accompagner les petits projets, comme le off grid par exemple ?

Amadou Hott : Dans le cadre du New Deal sur l’énergie en Afrique, nous avons créé un fonds pour l’inclusion énergétique actuellement en phase de finalisation. Il a pour objectif de concéder des dettes mezzanine et des dettes de rang supérieur aux projets de moins de 30 M$. Sponsorisé par la BAD à hauteur de 100 M$, le fonds vise 400 M$ de financements additionnels par des institutions de développement internationales. 100 M$ seront consacrés au off grid et 400 M$ aux petites centrales.

La BAD peut aussi décider de prêter directement aux entreprises. Par exemple, nous bouclons actuellement deux prêts de plusieurs dizaines de millions d’euros accordés à deux entreprises européennes spécialisées dans le off grid en Afrique. Pour les protéger du risque de change, ce sont des prêts qui peuvent être accordés en monnaie locale.

Enfin, et pour avoir un maillage plus local encore, nous accordons des lignes de financement à des banques commerciales afin qu’elles accordent elles-mêmes les prêts. Mais celles-ci ne connaissent pas toujours bien le off grid et les EnR en général donc nous organisons des séminaires pour les éduquer à ces nouveaux projets.

Dans le secteur de l’énergie et du climat, la BAD bénéficie aussi de financements extérieurs à hauteur de 41,5 millions d’UC, essentiellement par le biais du Fonds d’investissement climatique (20 millions d’UC), du Fonds pour l’environnement mondial (8,2 millions d’UC) et du Fonds fiduciaire UE-Afrique pour les infrastructures (7,8 millions d’UC).
* En 2016, 1 unité de compte (UC) = 1,34433 $

GreenUnivers : Si vous aviez un seul message à faire passer aux entreprises françaises qui veulent développer les énergies renouvelables en Afrique ?

Amadou Hott : Je voudrais leur dire que nous voulons aller vite avec eux, déployer rapidement notre plan car nous n’avons plus le luxe d’attendre. Qu’ils n’aient pas peur des méandres administratifs car nous ne sommes pas dans la bureaucratie. La BAD est la seule banque de développement à avoir déployé un complexe entier dédié à l’énergie. Notre équipe d’experts est relativement nouvelle mais avec une vraie dynamique. La plupart viennent du privé – c’est mon cas aussi – et nous sommes guidés par l’urgence d’agir.[/restrict-content]

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