Éolien terrestre : la filière évite une décapitation mais l’incertitude demeure

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La filière éolienne nationale peut souffler, même si l’incertitude juridique perdure et risque de fragiliser un peu plus la confiance des investisseurs. Le Conseil d’Etat a rendu ce 15 mai son arrêt suite à un recours déposé par la fédération d’associations anti-éolien Vent de Colère sur l’arrêté tarifaire en vigueur depuis 2008. Il ne tranche pas et demande un renvoi devant la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) sur la question de la qualification de l’arrêté tarifaire comme aide d’Etat. Pour autant, il valide le niveau du tarif d’achat et évite ainsi un coup d’arrêt fatal à la filière. Sur un marché en perte de vitesse en 2011 (800 MW installés environ) avec une perspective sombre pour 2012, la filière est condamnée à s’armer de patience : la décision de la CUJE pourrait prendre jusqu’à deux ans… L’analyse de Fabrice Cassin, avocat associé chez CGR Legal (*) :

Le Conseil d’Etat maintient l’incertitude sur la filière éolienne

Par un arrêt rendu le 15 mai, le Conseil d’Etat vient de surseoir à statuer et de prononcer le renvoi préjudiciel devant la CJUE sur la question de la qualification de l’arrêté tarifaire du 17 novembre 2008 en tant qu’aide d’Etat.

Le Conseil d’Etat a retenu que la question est de savoir « si, compte tenu du changement de mode de financement de la compensation des surcoûts imposés à Electricité de France et aux distributeurs non nationalisés à raison de l’obligation d’achat de l’électricité produite par les installations utilisant l’énergie mécanique du vent à un prix supérieur au prix de marché de cette électricité (…), ce mécanisme doit désormais être regardé comme une intervention de l’Etat au moyen de ressources d’Etat au sens et pour l’application des stipulations de l’article 87 du traité instituant la Communauté européenne ». Dans la mesure où il s’agit d’une question « déterminante pour la solution du litige » et qu’elle « présente une difficulté sérieuse », la CJUE doit donner son interprétation des textes.

Le Conseil d’Etat s’est ainsi référé aux évolutions de la jurisprudence de la CJUE sur les aides d’Etat, ainsi qu’il ressort de l’arrêt du 17 juillet 2008 (aff. C-206/06, Essent Netwerk Noord BV) et aux évolutions du mécanisme français de compensation de l’acheteur public de l’électricité produite par les installations éoliennes.

Le Rapporteur public, au cours de l’audience du 12 mars 2012, avait considéré que ces évolutions conduisaient à qualifier le mécanisme de soutien mis en place par l’arrêté tarifaire d’aide d’Etat dès lors que la CSPE est désormais financée non plus par les seuls producteurs, fournisseurs et distributeurs mais par les consommateurs d’électricité. L’Etat aurait la maîtrise de tels fonds issus d’un prélèvement de caractère obligatoire. En l’absence de notification d’une telle aide à la Commission européenne, le magistrat avait conclu à l’illégalité de la procédure d’adoption de l’arrêté.

Dans une note en délibéré, le Ministère avait expressément demandé que le Conseil d’Etat saisisse la CJUE de cette question, ce qui paraît avoir fait douter le Conseil d’Etat qui n’a eu d’autre choix que de renvoyer cette question délicate à la juridiction communautaire. Cette décision maintient donc l’incertitude tant que la CJUE ne s’est pas prononcée.

Le Conseil d’Etat valide le niveau du tarif d’achat

On doit regretter que la décision de la CJCE de juillet 2008 sur laquelle le Conseil d’Etat s’est appuyé a été rendue avant que cette même juridiction ne se prononce une première fois, le 6 août 2008, sur la légalité de l’arrêté tarifaire éolien. La Haute Juridiction n’avait alors pas tenu compte de cette décision communautaire et n’avait pas statué sur ce point. Seule la non consultation du Conseil supérieur de l’Energie avait alors justifié l’annulation de l’arrêté précédent. La bonne administration de la justice a cédé devant le principe de l’économie de moyens.

Dans l’attente de la décision de la CJUE, l’arrêté tarifaire du 17 novembre 2008 demeure en vigueur et les contrats d’obligation d’achat peuvent être signés sur son fondement. Surtout, par sa décision du 15 mai, le Conseil d’Etat a tenu à se prononcer sur le fond et a validé le niveau de tarif.

La Haute Juridiction a relevé qu’aucune erreur manifeste n’avait été commise « dans l’évaluation de la rémunération moyenne des capitaux immobilisés dans les installations utilisant l’énergie mécanique du vent » compte tenu « des aléas qui s’attachent aux hypothèses de rentabilité des investissements en cause » et « de la diversité des caractéristiques du financement des projets ».

Il est intéressant de noter que le Conseil d’Etat ait pris en compte les réalités d’une filière et se soit ainsi prononcé sur le fond, au-delà de la question procédurale de notification à la Commission européenne. Pour respecter les objectifs éoliens du Grenelle et du Paquet « énergie climat », il faut espérer que le nouveau gouvernement saura donner les signaux positifs immédiats en réaffirmant son soutien au développement de la filière.

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(*) Fabrice Cassin est par ailleurs vice-président de France Energie Eolienne (FEE), la branche éolien du Syndicat des Energies Renouvelables (SER) .

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