Pourquoi le Canada veut créer un marché du carbone

Print Friendly, PDF & Email

bluenext2Le Canada, mauvais élève du protocole de Kyoto, prépare un marché du carbone pour 2011. L’analyse de Boubékeur Ouaglal, chef de produit senior de BlueNext SA, la bourse de l’environnement.

GreenUnivers : le gouvernement canadien veut créer un marché fédéral du carbone. Comment analysez-vous cette décision ?

Le Canada a signé le protocole de Kyoto mais il n’est pas parvenu à respecter ses engagements. Il devait baisser ses émissions de 6% d’ici à 2012 par rapport au niveau de 1990. Mais en 2007, ses émissions ont atteint 747 millions de tonnes, contre 558 millions escomptés. C’est un écart très important, de l’ordre de 34%, par rapport à l’objectif. L’industrie pétrolière et les centrales à charbon sont largement responsables de cette situation. A quelques mois du sommet de Copenhague, le gouvernement fédéral prend le taureau par les cornes en annonçant la mise en place d’un système de « cap and trade » en 2011. Il montre qu’il ne reste pas inactif par rapport au réchauffement climatique.

GU : est-ce qu’il y a déjà eu des expériences locales de permis d’émissions dans le pays ?

Il en existe une dans la province de l’Alberta qui avait lancé un programme de réduction des émissions de CO2 avec des quotas pour un certain nombre d’entités. L’objectif était une diminution des émissions de 12% d’ici à 2008 par rapport au niveau de 2003-2005. Les industriels concernés pouvaient acheter les quotas qui leur manquaient au prix de 15 dollars canadiens la tonne (12 dollars US).  Ce prix fixe faisait que le système s’apparentait en fait à une taxe. L’Alberta est très importante sur le plan industriel et en termes d’émissions de CO2 : c’est là que l’on extrait le plus de pétrole, notamment dans les schistes bitumineux. En 2008, avec la flambée du prix du pétrole, l’exploration de ces zones est devenue rentable, d’où une production très importante qui a fait grimper les émissions de CO2 de la province et du pays.

GU : est-ce que d’autres provinces sont plus vertueuses sur le plan environnemental ?

Oui, on peut citer l’Ontario ou encore le Québec. Ce dernier bénéficie de ses importantes installations hydrauliques, peu polluantes en termes de CO2, et il a fait des efforts qui lui ont permis de réduire ses émissions de 6%. Il est aujourd’hui en-dessous de son niveau de 1990. Plusieurs états canadiens veulent rejoindre les marchés du carbone régionaux qui se développent aux Etats-Unis : certains visent la « Western climate initiative » (WCI), qui réunit notamment la Californie et l’Arizona et doit démarrer en 2010, d’autres sont observateurs sur le RGGI qui a démarré sur la côte est en 2009. Du fait de leur indépendance, beaucoup d’états ont fait leur coming out sur le thème de la lutte contre le réchauffement climatique, ce qui pousse aussi le gouvernement fédéral à l’action.

GU : comment se présentera ce futur marché fédéral du carbone ?

Le gouvernement veut réduire les émissions du pays de 20% d’ici à 2020 par rapport à 2006 (le Canada est le seul pays à choisir 2006 comme année de référence, et non 1990, NDLR). Ce qui est assez ambitieux compte tenu de la situation actuelle. Le marché du carbone est annoncé pour 2011, mais on ne connaît pas encore les modalités pratiques. Une période de consultation de 60 jours vient de s’ouvrir, ce n’est qu’à son terme que le dispositif sera précisé. On ne sait pas, par exemple, quels sont les secteurs qui seront concernés. Mais logiquement, ce seront les plus gros émetteurs de CO2 comme l’industrie pétrolière, l’automobile ou l’industrie papetière. La seule chose connue, c’est la possibilité de compenser les émissions en s’engageant dans des projets de réduction des émissions de CO2, notamment via des projets de déforestation évitée ou d’aménagement de la forêt. On connaît l’importance de la forêt dans le pays, le gouvernement veut en profiter. Mais seuls les projets domestiques devraient être éligibles.

GU : est-ce que les Canadiens s’inspirent du projet de marché du carbone des Etats-Unis, annoncé lui pour 2012 ?

Oui, le projet devrait largement s’inspirer de ce qui se prépare aux Etats-Unis, notamment dans la perspective d’un cap and trade nord américain, qui pourrait aussi intégrer le Mexique par la suite. Reste que le marché canadien est petit par rapport au marché américain, qui atteint lui entre 5 et 6 milliards de tonnes de CO2 équivalent par an.

Article précédentL’éolien, une planche de salut pour les sous-traitants de l’automobile ?
Article suivantImmobilier d’entreprise : la valorisation bouleversée par le Grenelle