Les stratégies des employeurs pour embaucher et conserver les talents

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(c) Pixabay

[2e volet de notre dossier sur le recrutement dans les entreprises de la transition énergétique]

Les entreprises de la transition énergétique recrutent beaucoup et éprouvent des difficultés à trouver certains profils. La multiplication des acteurs, le développement des énergies renouvelables et des nouvelles technologies provoquent des tensions sur les métiers de la transition énergétique. Une situation que les professionnels voient perdurer les prochains mois. Pour conserver leurs meilleurs éléments, les entreprises soignent leurs salariés.

Croissance…

Les énergies renouvelables représentaient 107 000 emplois en France en 2017 (étude Irena 2018). En ajoutant les métiers liés à l’efficacité énergétique, les smart grids, la finance verte et la mobilité, le secteur de la transition énergétique pèse plus de 300 000 emplois, en augmentation constante sur les dix dernières années (+69% selon l’Ademe). La croissance des marchés de la transition énergétique (près de 70 Mds€ de CA en 2015, selon l’Ademe) explique bien sûr la hausse du nombre de postes à pourvoir, de même que la libéralisation du secteur de l’énergie qui s’est traduite par l’entrée de nouveaux acteurs et le développement de nouvelles activités.

Le développeur et exploitant d’énergies renouvelables Cap Vert Energie en est une bonne illustration : « Nous bénéficions largement de la croissance du secteur puisque notre activité devrait être multipliée par 10 d’ici 5 ans », se félicite Pierre de Froidefond, le président de la société. Elle a embauché 37 personnes cette année (pour un effectif total de 111 salariés) et prévoit d’en recruter au moins 25 l’année prochaine. Un dynamisme qui s’explique par la croissance de la filière mais pas seulement. « Nous avons pris la décision d’internaliser des fonctions qui étaient jusqu’alors sous-traitées. Nous avons ainsi recruté un ingénieur géomatique pour réaliser en interne les cartographies foncières », indique le cofondateur et associé de la PME marseillaise. Plus récemment, Cap Vert Energie s’est lancé dans le marché de la fourniture d’énergie et a créé en interne une direction dédiée aux marchés de l’énergie. Là encore, cette décision stratégique s’est traduite par la création d’un poste spécialisé occupé par un ancien d’Engie. Un mouvement original car ce sont généralement plutôt les grandes entreprises qui recrutent chez les petites.

… et concentration

Cette dynamique favorable à la création d’emplois s’accompagne également d’un mouvement de concentration des entreprises, caractéristique d’un secteur en structuration. Un phénomène qui a certes tendance à détruire des postes en doublons, mais surtout à électriser le marché de l’emploi et augmenter le turn over. Les nouveaux entrants, souvent des grands groupes, déploient beaucoup d’efforts, notamment financiers, pour constituer des équipes locales expérimentées.

Les premières victimes de ces mastodontes sont les TPE/PME qui ont toutes les difficultés du monde à s’aligner sur les rémunérations proposées aux salariés. « Ces grands groupes nous « piquent » de bons éléments », regrette Jean-François Perrin, PDG de Nanomakers, spécialiste du stockage à base de poudres nanométriques. Une problématique qui touche aussi des ETI comme Akuo Energy qui a vu plusieurs de ses collaborateurs partir rejoindre China General Nuclear (CGN), un groupe très ambitieux sur le marché français. CGN a ainsi séduit des professionnels dans de nombreuses entreprises du secteur pour constituer ses effectifs qui ont atteint en 2018 la centaine de salariés, en seulement 4 années de recrutement.

Le groupe chinois n’est pas le seul acteur étranger a alimenter ce processus. Récemment, l’allemand EnBW est entré sur le marché français et lui aussi cherche à constituer une équipe expérimentée. “L’avantage d’intégrer une entreprise comme la nôtre, ce sont notamment les perspectives de carrière et la possibilité de monter très vite en grade car tout est à faire”, affirme Philippe Vignal, l’ancien directeur général de WPD France, passé chez EnBW.

Proposer plus qu’une carrière

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Sur un marché de l’emploi en tension sur lequel les profils prisés sont en position de force, les entreprises rivalisent pour attirer et conserver les meilleurs éléments. « En tant que groupe, nous avons une surface financière qui rassure les candidats, mais qui peut aussi faire peur à ceux qui se méfient des grandes structures. La question de l’autonomie revient souvent car beaucoup de salariés du bâtiment sont passés par la case de l’entrepreneuriat. Nous nous efforçons de développer les outils de télétravail et de proposer à nos collborateurs des parcours individualisés », indique Sabine Parisis, directrice des Ressources Humaines du groupe Effy.

Les sociétés de taille plus modeste doivent miser sur d’autres considérations pour conserver leurs talents à l’instar du bien-être en entreprise. Une approche défendue par Cap Vert Energie : « Nous avons la conviction qu’il faut donner du sens à la vie de nos salariés et que les moyens financiers ne sont pas au cœur des motivations de tous les individus. Les collaborateurs pèsent fortement sur la réussite de l’entreprise en fonction du degré d’autonomie, d’initiative et responsabilité qui leur est accordé », affirme Pierre de Froidefond.

Une philosophie qui s’accompagne d’un cadre de travail de style start-up : espace ouvert, zones de détente (babyfoot) et une politique actionnariale motivante. « Tous nos salariés sont actionnaires de l’entreprise. C’est un vecteur très important de cohésion et de motivation. Nous réalisons ainsi des levées de fonds qui leur sont réservées. Grâce à cette politique, nous affichons un turn over quasi nul. Nous avons constaté seulement 4 départs depuis la création de la société, dont un à la retraite », se félicite Pierre de Froidefond. Une performance qui s’explique aussi par un processus de recrutement exigeant : « Nous passons beaucoup de temps avec les candidats et les surprenons souvent à aborder des sujets déconnectés en apparence des exigences du poste, mais qui nous donne des indications précieuses sur le savoir être, le comportement individuel, l’engagement et de manière générale les qualités humaines des candidats », explique-t-il.

Des passerelles possibles

Pour pourvoir certains postes, les entreprises n’hésitent plus à recruter des candidats issus d’autres secteurs que celui de la transition énergétique. Des embauches qui se fondent sur des compétences assimilables à l’image de ce prospecteur foncier pour l’industrie cinématographique qui a mis ses connaissances au service de Cap Vert Energie, alors à la recherche d’un professionnel capable de trouver des terrains pour les futurs parcs EnR de la société aux Etats-Unis. Des passerelles qui ne sont pas rares, surtout sur des profils commerciaux, informatiques ou numériques, et sur des secteurs en apparence proches.

C’est le cas par exemple des énergies marines renouvelables qui ont vu ces dernières années de plus en plus de profils issus de l’industrie pétrolière et gazière offrir leurs services. « Nous avons étudié la candidature d’un ingénieur senior qui avait postulé à l’une de nos annonces d’emploi mais le recrutement n’a jamais abouti. Le salaire demandé était de 80 000 euros bruts pour un poste à Quimper, ce qui était bien trop élevé. Le candidat avait pourtant bien fait un effort notable, mais il émargeait alors à 250 000 euros par an… », se remémore Jean-Christophe Allo, responsable du développement commercial du fabricant d’hydroliennes Sabella.

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