Eolien : analyse des 10 propositions de simplification du groupe de travail [A. Gossement]

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Sébastien Lecornu, secrétaire d’Etat auprès du Ministre de la Transition écologique et solidaire, vient de présenter dix mesures de simplification du régime juridique de l’éolien. L’analyse, proposition par proposition, d’Arnaud Gossement, avocat associé du cabinet Gossement Avocats.

Dans la bonne direction mais pas assez loin

Dans leur ensemble, ces propositions – pour la plupart déjà discutées depuis longtemps – vont dans le bon sens et correspondent à des mesures attendues par la filière. Elles demeurent cependant très imprécises dans leur contenu – notamment sur le « repowering » – et renvoient souvent à des instructions, circulaires ou « guides de bonnes pratiques ». La liste de ces propositions pourrait être également complétée pour lever efficacement les freins au développement de cette énergie renouvelable précieuse. Cet ensemble de dix propositions ne peut donc constituer qu’une première étape de l’effort de simplification qui doit être mené.

A titre d’exemple, il est regrettable qu’aucune proposition de simplification ne concerne : l’empilement, la qualité de rédaction et les conditions d’opposabilité des documents de planification, l’utilisation des classements UNESCO pour motiver des refus d’autorisation, la réduction des vices de procédure mineurs qui entraînent encore des annulations d’autorisation (motivation des conclusions du commissaire enquêteur etc..), l’intérêt à agir des auteurs de recours, la poursuite de l’effort d’autorisation unique, la sanction véritable des recours abusifs, l’obligation d’éloignement des zones habitées, le volume des études environnementales, la précision du contenu attendu des mesures d’inventaires et de compensation, l’interdiction faite à l’administration de refuser plusieurs fois la même autorisation même après annulation d’un premier refus par le juge, le coût du raccordement, la prévisibilité des appels d’offres, etc..

« Proposition 1 : Accélérer le contentieux relatif aux parcs éoliens terrestres et à leurs ouvrages connexes en ayant un contentieux en premier et dernier ressort devant la cour administrative d’appel »

Cette mesure de simplification a d’ores et déjà été mise en place pour tenter d’accélérer l’instruction des recours dirigés contre certains projets comme les projets éoliens en mer. Le dossier de presse précise que « la suppression d’un niveau de juridiction est une mesure qui est utilisée par l’Etat dans plusieurs  cas  pour  accélérer  le  développement  des  projets  d’éolien  en  mer,  les  grandes surfaces commerciales (supermarchés, hypermarchés) et pour les salles de cinéma de plus de 300 places. » L’efficacité de cette mesure, qui ne réduira pas le nombre des recours mais leur durée d’instruction, n’est pas encore démontrée pour des projets terrestres. En premier lieu, si les recours contre l’autorisation environnementale, qui permet la construction et l’exploitation d’un parc éolien, devront être portés directement devant une cour administrative d’appel, il n’en ira pas de même des recours dirigés contre d’autres décisions, pourtant requises pour ce projet de parc éolien mais afférentes aux documents de planification au titre du droit de l’urbanisme ou de l’environnement (PLU etc…). En deuxième lieu, le délai moyen de jugement d’un recours devant le tribunal administratif est d’un an et demi. Sauter cette étape ne fera gagner du temps qu’à la condition que les moyens humains et matériels de la Cour administrative d’appel soient renforcés. A défaut, l’engorgement du greffe de cette cour ne permettra pas de réduire les délais d’instruction. En troisième lieu, si la Cour administrative d’appel fait droit au recours et annule une autorisation environnementale : son bénéficiaire ne pourra plus interjeter appel et sera limité à la cassation. Laquelle ne permet une ré-instruction du fond du dossier comme devant le juge du fait. Il est donc nécessaire que cette proposition soit complétée pour que son efficacité soit avérée.

Il est au demeurant étonnant que ne soit présentée aucune mesure sur : les possibilités de référé-suspension, l’obligation de notification de recours et d’information des bénéficiaires, le rejet des recours par ordonnances de tri, la preuve de l’intérêt à agir des requérants… Enfin, notons que la « proposition 1 » ne concerne que la procédure devant le juge administratif. Or, il est également important de réfléchir au travail du juge civil ou pénal qui est parfois saisi très médiatiquement dans le seul but d’effrayer élus et opérateurs.

Parc éolien de Cap Redounde © Valeco

« Proposition 2 : Simplifier  le  contentieux  en  figeant  automatiquement  les  moyens (de  légalité  externe ou interne) au bout de 2 mois »

Le dossier de presse précise assez sommairement que « le  traitement  des  requêtes  par  les  tribunaux est retardé  par  la  multiplication des mémoires remis et des moyens invoqués par les parties en cours d’instruction ». Cette mesure a déjà été discutée et présentée à plusieurs reprises dans les rapports relatifs à la simplification du contentieux de l’urbanisme. Surtout, le juge administratif peut d’ores et déjà ordonner la « cristallisation » des moyens développés par les parties au procès. Elle n’empêchera pas le dépôt de recours mais pourra permettre au juge d’interdire au requérant, passé un délai de deux mois, d’invoquer de nouveaux moyens (arguments) au soutien. Pour l’heure, aucune étude connue ne démontre que la cristallisation des moyens aurait permis de réduire véritablement la durée des procédures. Pour clore une procédure et interdire la pratique consistant à égrener des moyens au fil de mémoires produits à la dernière minute, rien ne sera plus efficace qu’une clôture d’instruction et une inscription du dossier à une audience.

« Proposition 3 : Clarifier  les  règles  pour  les  projets  de  renouvellement  (« repowering »)  des  parcs  en  fin  de vie, via une instruction ministérielle »

Cette proposition, qui se borne à un vœu de « clarification » est évidemment bienvenue mais n’a toujours pas de contenu précis. Ce qui est surprenant car la question du « repowering » est discutée depuis plusieurs années et, en réalité, depuis le classement des éoliennes dans la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). Le dossier de presse indique tout au plus que la question du caractère substantiel du changement opéré devrait être précisé par une « instruction aux services de l’État qui instruisent les dossiers d’autorisation ». Il existe donc un risque que la situation actuelle ne soit pas substantiellement modifiée, l’administration conservant en définitive la responsabilité de décider au cas par cas si un changement des installations appelle ou non le dépôt d’un nouveau dossier complet de demande d’autorisation.

« Proposition 4 : Renforcement  de  la  motivation  des  avis  conformes  et  réévaluation  des  zones  propices  au développement de l’éolien »

Le dossier de presse indique que « la Direction Générale de l’Aviation Civile conservera un avis conforme jusqu’à 16 kilomètres autour de ses radars, mais il est proposé de passer en avis simple au-delà. Une circulaire aux préfets sera également adressée pour rappeler les principes de l’avis conforme : motiver les refus, préciser les modalités des recours administratifs gracieux, ne pas étendre les refus autour des zones soumises à avis conforme. Enfin, le ministère de la Défense  s’engage  à un réexamen de 4  zones  d’entraînement  aérien  particulièrement propices à l’éolien. » En résumant, cette proposition revient à faire en sorte que l’Etat soit, en droit, moins lié par l’avis émis par les opérateurs de radars, lesquels devront mieux justifier leur position. Reste que, dans la pratique, l’Etat suit généralement les avis exprimés par les opérateurs de radars. Il serait utile de sortir d’une logique projet par projet pour organiser un débat national plus large sur la cohabitation entre radars et éoliennes.

« Proposition 5 : Suppression  de  l’approbation  d’ouvrage  électrique  pour  les  ouvrages  électriques  inter-éoliens et les raccordements des parcs éoliens à terre et en mer. »

Cette mesure, réclamée depuis longtemps par la filière, est certainement précieuse. Elle participe de cet objectif de réduction du nombre des autorisations et conventions requises pour développer un projet de parc éolien. Cette mesure est attendue et contribuera en effet à la simplification du régime juridique.

« Proposition 6 : Passer la moitié des mâts d’un parc d’un balisage clignotant à un éclairage fixe »

Il est intéressant de noter que, selon le dossier de presse : « C’est  la  principale nuisance invoquée par les riverains des parcs éoliens, bien avant l’impact sur le paysage ou le bruit des éoliennes. Un balisage fixe permettra de réduire ces nuisances. » Il s’agit donc d’une mesure technique bienvenue.

Parc Clémentine (Crédit : H2air)

« Proposition 7 : Mieux intégrer l’éolien dans les paysages »

Le droit comporte d’ores et déjà des règles précises qui imposent aux pétitionnaires et à l’administration d’évaluer l’incidence paysagère éventuelle d’un projet de parc éolien et de prévoir des mesures propres à réduire ou compenser d’éventuelles gènes. Le groupe de travail propose en outre une intervention de l’Ademe pour « financer certains  de  ces  programmes  et  relayer  les  retours  d’expérience », dans des « territoires volontaires ». Il est regrettable que certains sujets n’aient pas été ici traités, notamment l’utilisation des classements Unesco pour motiver des refus d’autorisation ou, parfois, des demandes de pièces complémentaires (photomontages etc..) qui peuvent allonger considérablement la durée de la procédure administrative d’autorisation.

« Proposition 8 : Faire  évoluer  la  répartition  de  l’IFER  éolien  pour « intéresser » les  communes  aux  projets éoliens »

En opérant un lien entre l’acceptabilité des parcs éoliens et la fiscalité locale, le dossier de presse précise que « le  ministère  de  la Transition  écologique  et  solidaire  propose  de modifier  la  répartition  de l’IFER [Imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau] pour  garantir  un  minimum  de  20%  des  retombées  fiscales  aux  communes d’implantation des éoliennes, sans modifier le niveau global de l’imposition ». D’une part, la question de l’acceptabilité ne va pas de soi. Depuis des années, de nombreux sondages démontrent la forte acceptabilité des parcs éoliens, ce compris par leurs riverains. Le succès des opérations de financement participatif vient le démontrer. Et les auteurs de recours sont, en réalité, fort peu nombreux. Il convient donc de ne pas donner trop d’importance à l’argument selon lequel les éoliennes ne seraient pas acceptées. D’autre part, à supposer même qu’il faille améliorer l’acceptabilité des projets, il n’est pas certain qu’une nouvelle ventilation du produit de l’IFER produise l’effet escompté. Enfin, une baisse de la fiscalité pesant sur l’éolien aurait également pu être utilement discutée.

« Proposition 9 : Travailler à un « guide des bonnes pratiques » entre développeur éolien et collectivité »

Le groupe de travail propose un  « guide  des  bonnes pratiques » qui pourra éclairer chacune des parties prenantes aux projets éoliens sur les  démarches  à  suivre,  les  informations  à  communiquer  et  les  pratiques  à  éviter  pour  le développement d’un projet le plus paisible possible ». Cette méthode a déjà été utilisée et peut parfois aboutir à des dérives comment le droit de l’urbanisme en connaît déjà lorsque des collectivités territoriales imposent des nouveaux critères de construction  à partir de chartes ou de guides, lesquels viennent s’ajouter aux prescriptions du code de l’urbanisme. Si l’intention est certainement louable, le risque de produire ainsi de nouvelles normes et de créer des risques juridiques existe.

« Proposition 10 : Inciter le financement participatif des projets éoliens »

La proposition consiste à « systématiser les bonus dans les appels d’offres pour les projets qui favorisent le financement participatif avec des fonds provenant de financeurs locaux. » Ici aussi, si l’intention est louable, le contenu précis de la proposition fait encore défaut. Pour aller plus loin, il serait utile de travailler à une sécurisation juridique des projets qui sont développés dans des sites dégradés ou des friches polluées.

Conclusion. Deux autres groupes de travail ont été mis en place : sur le solaire et sur la méthanisation. Lorsque les conclusions de ces groupes de travail seront connues il sera alors possible de procéder à une analyse de leur ensemble. Il conviendra surtout de rester attentif à ce que le Gouvernement reprendra effectivement parmi ces propositions, soit pour les inscrire dans le projet de loi « société de confiance », soit pour les traduire sous forme de normes réglementaires ou de circulaires. On se réjouira cependant que la position de l’Etat ait changé même si les propositions ici commentées manquent encore de contenu. En effet, le chemin parcouru est important depuis 2010 lorsque le législateur accumulait les obstacles juridiques et et les contraintes administratives et 2018 où la priorité est enfin donnée à l’effort de simplification.

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