Nucléaire : pourquoi il faut réviser la loi de 2015 [Analyse juridique]

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Arnaud Gossement (DR)

Le gouvernement a décidé de réviser l’échéance de réalisation de l’objectif de réduction de la part du nucléaire dans la production d’électricité. Sur le plan du droit, il faudra réviser la loi relative à la transition énergétique mais surtout réfléchir aux causes pour lesquelles l’échéance fixée en 2015 ne pourrait plus être respectée. Et ne pas oublier que l’objectif de développement des énergies renouvelables demeure fixé par le droit de l’Union européenne. L’analyse d’Arnaud Gossement, avocat, enseignant et administrateur d’Enerplan.

L’objectif de réduction de la part du nucléaire défini par la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique

Pour mémoire, la loi du n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte a précisé au sein du code de l’énergie que l’un des objectifs de la politique énergétique nationale est de « de réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50 % à l’horizon 2025 ». En d’autres termes, la part du nucléaire devait être réduite d’ici à 2025 au plus tard. Pour parvenir à cet objectif, l’article 187 de la loi du 17 août 2015 a, principalement, créé deux outils.

Le premier outil de réduction de la part du nucléaire est un dispositif de plafonnement de la capacité totale autorisée de production d’électricité d’origine nucléaire à 63,2 GW. L’article L.311-5-5 du code de l’énergie précise désormais que l’autorisation d’exploiter une installation nucléaire de base ne peut être délivrée lorsqu’elle aurait pour effet de porter la capacité totale autorisée de production d’électricité d’origine nucléaire au-delà de 63,2 GW. L’exploitant d’une installation nucléaire de base qui souhaite obtenir une nouvelle autorisation d’exploiter doit, si ce plafond risque d’être dépassé, déposer préalablement une demande d’abrogation d’une autorisation d’exploiter existante. Cette nouvelle procédure n’a été engagée qu’une seule fois et dans des conditions surprenantes. Par un décret n° 2017-508 du 8 avril 2017, le précédent gouvernement a abrogé l’autorisation d’exploiter la centrale nucléaire de Fessenheim mais avec un effet différé. L’abrogation a donc été annoncée mais n’est pas encore intervenue. En droit et en fait, malgré ce décret, la centrale nucléaire de Fessenheim continue de bénéficier d’une autorisation d’exploiter.

Le deuxième outil de réduction de la part du nucléaire est l’obligation faite à « tout exploitant produisant plus du tiers de la production nationale d’électricité » d’établir un « plan stratégique » pour présenter « les actions qu’il s’engage à mettre en œuvre pour respecter les objectifs de sécurité d’approvisionnement et de diversification de la production d’électricité fixés dans la première période de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) ». Ce plan stratégique doit également exposer les actions entreprises pour réduire la part du nucléaire, comme le précise bien un décret n° 2016-1442 du 27 octobre 2016 : « dans un délai maximal de six mois à compter de la publication du présent décret, Electricité de France établit un plan stratégique compatible avec les orientations de la programmation pluriannuelle de l’énergie qui fixe l’objectif de réduire la part du nucléaire à 50% de la production d’électricité à l’horizon 2025 ». La société EDF a présenté un premier plan stratégique à Ségolène Royal, alors ministre en charge de l’Ecologie. La ministre a demandé une révision de ce plan au motif que celui-ci n’était pas compatible avec les objectifs de la PPE. Une deuxième version du plan était donc attendue mais n’a pas été rendue public à ce jour.

En définitive, si la loi du 17 août 2015 a bien défini un objectif de réduction de la part du nucléaire dans la production d’électricité, elle n’a pas  encore doté l’Etat d’outils juridiques convaincants pour y parvenir. En droit, le parc nucléaire appartient à un exploitant de droit privé et, sauf motif de sûreté, il lui appartient encore d’en décider de l’avenir.

Le gouvernement modifie l’échéance mais pas le pourcentage de réduction

Nicolas Hulot (ministère de la Transition écologique et solidaire)

Ce 7 novembre 2017, le gouvernement a décidé de réformer cet objectif de réduction de la part du nucléaire. Il a publié un communiqué précisant que « le gouvernement prend acte des études menées par RTE montrant que l’échéance de 2025 (pour baisser à 50% la part du nucléaire dans la production d’électricité) n’est pas réaliste au regard de nos engagements en matière climatique. » Il est important de souligner que le gouvernement n’a pas abandonné l’objectif dans son volume mais dans sa durée.

Le gouvernement annonce donc une modification, non pas du pourcentage de réduction mais de l’échéance : « Le gouvernement reste attaché à cet objectif des 50%, c’est pourquoi il établira dans le cadre de la PPE une nouvelle trajectoire ambitieuse d’évolution de notre mix électrique en associant étroitement les entreprises, les salariés, les territoires et les citoyens. Celle-ci permettra d’atteindre le plus rapidement possible les objectifs fixés par la loi de transition énergétique tout en prenant en compte l’impératif climatique. »

Officiellement, c’est donc le souci d’atteindre les objectifs de réduction de nos émissions de gaz à effet de serre qui semble justifier la révision de l’échéance de réalisation de l’objectif de réduction de la part du nucléaire. Un motif très discuté. Pour le juriste, la première réaction est celle de l’étonnement : la loi relative à la transition énergétique n’est pas si ancienne – 2015 – qu’il semble déjà nécessaire de la modifier. De deux choses l’une : soit la loi de 2015 comporte un objectif « irréaliste » et il faut s’interroger sur la raison pour laquelle il a quand même été voté par la majorité d’alors. Soit cette loi, faute d’avoir été appliquée plus tôt, est devenue inapplicable. Dans tous les cas, c’est l’autorité de la Loi qui est ici affaiblie et il est important de savoir pourquoi avant de voter une nouvelle loi. Car il pourrait advenir à la prochaine loi fixant le nouvel objectif nucléaire le même sort qu’à la précédente.

Les conséquences juridiques de cette annonce

Cette annonce appelle néanmoins deux commentaires sur le seul plan du droit.

En premier lieu, le gouvernement semble ici considérer que la modification d’une des composantes de l’objectif de réduction de la part du nucléaire pourrait être réalisée au sein de la seule PPE, c’est-à-dire par décret, sans modifier la loi. Or, l’objectif a bien été défini par une loi, celle du 17 août 2015. Tant que cette loi n’a pas été modifiée par une nouvelle loi, la PPE – dont la deuxième période est actuellement discutée – doit lui être conforme et être élaborée en fonction de l’objectif de réduction de la part du nucléaire tel que défini actuellement. Il appartient donc au Parlement, sur rapport du gouvernement (article 100-4 du code de l’énergie) de faire le bilan de la mise en œuvre des objectifs de la loi relative à la transition énergétique et, le cas échéant, d’engager leur révision. Pour l’heure, le projet de deuxième période de la programmation pluriannuelle doit tenir compte des objectifs de la loi du 17 août 2015. A terme, une fois la loi modifiée pour réviser l’échéance de 2025, il sera également nécessaire d’abroger ou de modifier le décret n° 2016-1442 du 27 octobre 2016 relatif à la PPE ainsi que ses annexes.

En deuxième lieu, à supposer que le gouvernement dépose un amendement ou un projet de loi devant le Parlement pour modifier l’échéance de réalisation de l’objectif de réduction de la part du nucléaire, le problème demeure entier. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, modifier l’échéance ne sert à rien si les raisons pour lesquelles celle-ci ne peut plus être respectée n’ont pas été identifiées. D’une certaine manière, la réflexion devrait prioritairement porter, non pas uniquement  sur des scenarii ou sur des dates mais sur les outils juridiques dont dispose l’Etat pour piloter le parc nucléaire. Les questions sont : comment en sommes-nous arrivés là ? Pourquoi faut-il réviser la loi de 2015 à peine deux ans après son entrée en vigueur ? L’Etat dispose-t-il des moyens pour atteindre cet objectif ?

Quid du développement des énergies renouvelables ?

Parc éolien (Crédit: Anne-Claire Poirier)

L’annonce gouvernementale d’une révision de l’échéance de réalisation de l’objectif de réduction de la part du nucléaire ne doit pas faire oublier que les objectifs de notre politique énergétique sont d’abord fixés en droit de l’Union européenne. L’objectif de développement des énergies renouvelables demeure donc inchangés. La part d’énergie produite en France à partir de sources renouvelables dans la consommation d’énergie finale brute, doit en 2020, être de 23% conformément à la directive 2009/28/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables. Et la déclinaison de cet objectif par type d’énergie doit rester conforme à cet objectif global de 23% sous le contrôle de la Commission européenne.

Paradoxalement, l’annonce de la révision de l’échéance de réalisation de l’objectif de réduction de la part du nucléaire dans notre production d’électricité pourrait s’avérer être d’abord une mauvaise nouvelle pour le secteur nucléaire lui-même. Ce dernier a besoin d’une feuille de route pour éclaircir son avenir et dégager les financements nécessaires à la mise à l’arrêt et au démantèlement de centrales dont la sûreté est régulièrement questionnée par l’autorité de sûreté nucléaire. Les énergies renouvelables continueront de se développer et vivent déjà une révolution sans précédent dans le reste du monde.

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