Transition énergétique allemande : regards croisés sur une étude controversée

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Tendancieux, partial, pro-nucléaire… Une pluie de critiques s’abat sur le rapport de France Stratégie intitulé “Transition énergétique allemande : la fin des ambitions ?”. Après s’être fait l’écho du think tank public la semaine dernière, GreenUnivers donne la parole à trois spécialistes.

Du côté des détracteurs, Claudio Rumolino, ingénieur énergéticien chargé de mission chez le développeur EnR Valorem et Vincent Boulanger, journaliste indépendant basé en Allemagne spécialiste des questions énergétiques. Il est l’auteur de “Transition énergétique : comment fait l’Allemagne”, aux éditions Les petits matins. Du côté des soutiens au rapport, André-Jean Guérin, ingénieur général honoraire des ponts, eaux et forêts. Il est notamment membre du bureau de la Fondation Nicolas Hulot et administrateur du think tank The Shift Project.

GreenUnivers : Que pensez-vous de ce rapport ? 

Claudio Rumolino : Il s’agit d’une note à charge contre la transition énergétique allemande. A sa lecture, nous pourrions penser, à tort, que l’Allemagne a ralenti ses efforts ou que ses efforts ne portent pas leurs fruits. Il faut également mentionner que l’auteur du rapport est un ingénieur EDF (voir note en fin d’article) mis à disposition de France Stratégie, partisan assumé du nucléaire et notamment contempteur du scénario négaWatt français [selon cette association d’experts, l’Hexagone peut atteindre 100% d’EnR en 2050, NDLR]. Et pourquoi critiquer l’effort allemand, si ce n’est pour démontrer que la transition énergétique est illusoire ?

Vincent Boulanger : Il est excessivement spéculatif, car en réalité, personne ne peut dire si l’Allemagne ratera son objectif 2020 [selon l’étude, “l’Allemagne est en passe de manquer son objectif climat 2020”, NDLR]. Beaucoup de choses peuvent se passer d’ici là. En 2011, la chancelière Angela Merkel a décidé l’arrêt de huit centrales nucléaires… En tout cas, la capacité raccordée au réseau et les excédents d’export rendent possibles l’arrêt de nombreuses centrales à charbon. Et au-delà de 2020, tout est envisageable, y compris une accélération de la transition.

André-Jean Guérin : Il y a quatre ou cinq ans, nous n’entendions que des louanges sur le dynamisme de la transition énergétique allemande. Cette étude est intéressante et son principal apport est de montrer que le coût et l’inefficacité de cette transition énergétique interpellent les responsables politiques allemands. Si le critère d’une bonne performance est d’avoir beaucoup d’éoliennes et panneaux photovoltaïques, alors oui le bilan est positif. Si le critère est aussi de remplacer l’énergie nucléaire par des EnR intermittentes, attendons de voir car rien n’est sûr. Enfin, si l’objectif est de réduire les émissions de gaz à effet de serre, c’est un échec car l’Allemagne reste un important émetteur. Pareil dans le domaine du biogaz : plus de 800 000 hectares de cultures énergétiques, essentiellement du maïs, servent à alimenter des méthaniseurs, moyennant des subventions aux agriculteurs très coûteuses… Nous ne pouvons pas parler d’un grand succès.

GU : Un exemple concret d’inexactitude tiré du rapport ? 

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Claudio Rumolino : J’ai été choqué par le graphique intitulé “Evolution comparée des émissions de gaz à effet de serre en Allemagne, en France et en Union européenne” (voir ci-contre), en première page de l’étude. La méthode de représentation choisie (évolution en indice et absence de valeurs absolues) ainsi que l’année de référence (indice 100 en 2005) permet d’obtenir la courbe la plus contrastée possible. Autrement dit, la représentation la plus négative possible de l’évolution des émissions outre-Rhin. Notons aussi que l’auteur a pris le soin de convertir en base 2005 les données issues d’une source en base 1990. Ce changement n’est pas anodin et il semble particulièrement bien choisi si le but recherché est de minorer les efforts fournis. Enfin, le graphique mélange toutes les émissions alors que le ralentissement de la baisse des émissions n’est pas causé par le secteur de la production d’électricité, mais par les transports et l’agriculture.

Vincent Boulanger : Sur de nombreux points, le rapport ne présente qu’une partie de la réalité. Par exemple, sur les stations de stockage hydraulique (STEP), l’auteur affirme qu’il faudrait multiplier leur nombre par 200 pour intégrer toutes les énergies intermittentes prévues et que la géographie du pays ne le permet pas. Outre le fait que ce chiffre soit contestable, l’auteur ne précise pas que l’Allemagne tire une ligne de 1400 MW avec la Norvège (Nordlink) pour utiliser ses STEP à elle.

GU : Selon le rapport, l’Allemagne fait reposer la stabilité de son réseau électrique sur ceux de ses voisins car “les échanges physiques avec l’étranger augmentent en volume et en fréquence”. Est-ce un problème ? 

Claudio Rumolino : Pourquoi faire ce reproche à l’Allemagne ? C’est à cela que sert un réseau. Au plus fort de l’hiver, les Français connaîtraient des black-out à cause du chauffage électrique, si les Allemands n’envoyaient pas leur courant. Depuis une dizaine d’années, le bilan des échanges profite essentiellement à la France. La preuve avec un cas d’école : en février 2012, l’appel de puissance en France a atteint 102 GW, pas loin du double du parc nucléaire tricolore (63 GW). Depuis, l’Hexagone n’est pas allé jusque-là mais les 90 GW sont facilement atteints l’hiver.

André-Jean Guérin : Le problème, c’est qu’il y a une telle variabilité de la production électrique allemande liée aux EnR intermittentes que le pays utilise les interconnexions jusqu’à leurs extrêmes limites physiques. Par exemple, la Pologne a décidé d’installer des dispositifs permettant de couper l’interconnexion pour éviter que son propre réseau ne sature lorsque l’Allemagne produit trop d’électricité.

*Contacté par GreenUnivers, EDF n’a pas confirmé le statut juridique actuel d’Etienne Beeker. Ce dernier est en charge des questions énergétiques chez France Stratégie. Il a travaillé plusieurs années à la R&D d’EDF, notamment dans le domaine de la modélisation et l’optimisation des systèmes électriques.

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