Comment transformer les innovations cleantech en marchés ? [Compte rendu]

Print Friendly, PDF & Email

Question cruciale, la transformation d’une innovation en marché était le sujet de la table ronde organisée le 30 mars par GreenUnivers à l’occasion de la publication de son Panorama des cleantech 2017, dans le cadre du Forum national des éco-entreprises du Pexe. Cinq intervenants (voir photo ci-dessous) ont débattu sur ce sujet.

De gauche à droite : Pascal Roux (Watson Farley & Willians), Olivier Duverdier (Ecosys Group/Cleantech Open), Stéphane Villecroze (Demeter Partners), Stéphane Queré (Engie), Caroline Rozain ( Sylfen)

Règle n°1 : trouver des clients

« Toutes les innovations ne constituent pas un progrès, encore moins un marché », rappelle Pascal Roux, avocat au cabinet Watson Farley & Willians. « Répondre à un besoin identifié, trouver un client, c’est la base », ajoute Stéphane Queré, directeur innovation du groupe Engie. Mais ce qui peut paraître une évidence à certains est parfois une préoccupation éloignée pour des ingénieurs-chercheurs, surtout après plusieurs années de R&D. En outre, « les startupers ont souvent la conviction d’avoir le meilleur projet et que les autres s’en rendront compte mais il leur faut prendre conscience que le monde est compétitif et les ressources financières ne sont pas illimitées », complète Olivier Duverdier, cofondateur du cabinet Ecosys et du Cleantech Open France. « La concurrence est rude, certains concurrents ont un sex appeal plus important ou des promesses de temps de retour plus court ». Même son de cloche chez Stéphane Villecroze, managing partner de Demeter : « Il ne faut pas se faire d’illusions. Dans le cas des cleantech particulièrement, être vert ne suffit pas. Pour convaincre il faut conférer un avantage économique aux clients ».

Confronter son innovation pour multiplier des cas d’usage

Pour identifier les besoins des clients, Olivier Duverdier préconise de « partager son innovation et sa vision pour la rendre plus bankable. Bien sûr, il est important de protéger sa propriété intellectuelle mais il faut quand même se confronter à l’extérieur pour avoir des retours et multiplier les cas d’usage. On ne peut pas tout trouver tout seul dans son garage, donc il faut se libérer, avoir confiance en soi et trouver rapidement des éléments sur lesquels communiquer pour entraîner un cercle vertueux fait de cas d’usage et de clients ».

Avec sa technologie ready-to-market – un électrolyseur réversible –, la jeune pousse Sylfen a justement identifié plusieurs marchés. « Il a fallu tous les étudier – biogaz, industrie, mobilité, etc. Et finalement, nous avons vu que Sylfen pourrait percer dans le bâtiment, de plus en plus producteur de sa propre énergie », argumente Caroline Rozain, cofondatrice. « L’enjeu, puisque nous proposons une innovation de rupture, est de convaincre que le marché existe ».

Attirer et trouver son investisseur

La recherche de fonds est un moment délicat dans la vie d’une start-up. « L’écosystème est riche et intéressant donc il peut être plus difficile qu’avant de trouver des fonds », selon Olivier Duverdier. Pascal Roux avertit cependant les entrepreneurs face à l’écueil qui consiste à multiplier les petites levées de fonds : « c’est beaucoup d’énergie gaspillée et un risque non négligeable de perdre le contrôle de son actionnariat ». « Pour une start-up, il est pertinent de faire une première levée de fonds significative, confirme Stéphane Villecroze. Et si on reçoit plus d’argent, il faut le faire travailler davantage, en augmentant l’ambition et la vitesse. Ensuite, il y a différentes manières d’attirer les investisseurs. En plus du recrutement et de l’internationalisation, il faut faire du build-up [croissance externe afin de créer des synergies, NDLR]. Par exemple, début 2017, la levée de fonds d’Algaïa, spécialisée dans les ingrédients d’origine marine, lui a permis d’acquérir un site de production du groupe Cargill ».

Dans la recherche de fonds, Olivier Duverdier note une « meilleure maturité des entrepreneurs dans la manière de présenter leur projet, la trajectoire de croissance, etc ». Il rappelle cependant que les investisseurs doivent bien considérer à qui ils s’adressent : « les investisseurs ne sont pas qu’un chéquier. C’est même plutôt l’inverse : un binôme doit se créer entre un entrepreneur et son investisseur. Pour cela, l’entrepreneur doit prendre en compte les cycles de son investisseur ». Selon Olivier Duverdier, le rapport de force entre les entrepreneurs et les investisseurs est « délicat mais constructif ».

(Crédit : Anne-Claire Poirier)

Gare à la vallée de la mort

Pour Pascal Roux, « l’écosystème français est très au point pour le financement et continue de s’améliorer, en particulier grâce à la professionnalisation croissante des incubateurs. En revanche, les difficultés commencent avec les levées de plusieurs millions d’euros. Il existe un vrai trou dans la raquette entre l’amorçage et les levées de fonds dites de séries A, pour les collectes entre 5 et 10 M€ ». Pour quelles raisons ? « Sans doute existe-t-il une excessive volonté de contrôle chez les investisseurs français, les managers des start-up ont parfois un peu de mal à trouver leurs marques avec eux. Et on constate un manque d’audace dans certains cas ». Selon Stéphane Villecroze, il existe encore une certaine rareté des acteurs capables d’accompagner ces tours là en France. La fusion de Demeter et Emertec vise d’ailleurs précisément à occuper ce terrain : « cela permet d’accompagner les entreprises plus longtemps et de A à Z, du stade de la start-up à l’infra. Il est vrai qu’avec cette fusion, les entreprises qui avaient deux portes où frapper n’en ont plus qu’une, mais elle est plus grande…Nous visons un milliard d’euros sous gestion », explique Stéphane Villecroze.

Pour Stéphane Queré, Engie fait également partie de ces acteurs qui essaient de boucher ce trou, notamment grâce au fonds Engie New Ventures, doté de plus de 100 M€. « Ce fonds recherche des start-up en phase de déploiement commercial. Pour une bonne raison : nous avons envie de faire des affaires avec ces sociétés et avons donc besoin de visibilité sur leur produit », explique-t-il.

D’ailleurs, de l’avis de tous, cette vallée de la mort pour les sociétés qui entrent dans le venture capital est aujourd’hui un peu moins béante qu’avant. « Les investisseurs français peuvent accompagner sur une période bien plus longue qu’il y a dix ans », remarque Pascal Roux. « Il y a quand même beaucoup plus de supports, ajoute Olivier Duverdier, family offices, investisseurs généralistes, financement participatif… »

(Crédit : Anne-Claire Poirier)

Digital et international, simplement évidents

Autrefois différenciants, le digital et l’international paraissent aujourd’hui naturels, en tout cas pour les investisseurs. « Le digital est partout, ce n’est plus un sujet, commente Stéphane Queré. Tous les métiers y sont perméables. En revanche, ce qui reste un sujet, c’est son déploiement et c’est pour cette raison qu’Engie a créé Engie Digital. Nous devons faire infuser le numérique dans tous les métiers du groupe». Pour Olivier Duverdier, « aujourd’hui, le digital transforme des secteurs qui n’avaient pas évolué depuis des décennies. Pour autant, le digital est plus vu comme un levier de développement – toucher plus de clients, dupliquer plus facilement, optimiser ses actifs, etc – que comme une finalité pour aller impacter un marché ».

Pascal Roux confirme : « Pour la plupart des technologies nouvelles, le digital booste le processus ». Selon lui, « international et digital sont de ce fait intimement liés. Le marché de ces technologies n’est jamais français, mais toujours international. Donc, aller à l’international c’est simplement aller à la rencontre de son marché. C’est juste la base de la base ». A ce propos, Olivier Duverdier se félicite qu’il y ait aujourd’hui « de plus en plus de fonds qui permettent de projeter rapidement les entreprises à l’international. C’est assez nouveau et extrêmement encourageant car la croissance de nos sociétés innovantes se fera à l’international ».

Pour Caroline Rozain « allier hardware et sofware est indispensable à la réussite de la transition énergétique, notamment pour mettre en adéquation des ressources intermittentes avec des consommations imprévisibles, et c’est ce que propose Sylfen ». Comme toute jeune pousse de son temps, Sylfen compte aller rapidement à l’international et recherche pour cela 3 à 4 millions d’euros auprès d’investisseurs purement financiers mais aussi de corporate . « Bien que la France soit motrice dans la transition énergétique – la réglementation évolue, les appels d’offres sortent, il y a une vraie envie de la part des collectivités et des citoyens, qui souhaitent consommer l’énergie qu’ils produisent -, elle n’est pas un marché prioritaire pour nous, car les prix de l’énergie y sont bas », précise Caroline Rozain.

Le rôle structurant des grands groupes

Selon Stéphane Quéré, les grands groupe comme Engie peuvent participer à créer et structurer un marché, notamment en faisant l’intermédiation entre les acteurs et grâce aussi à leurs relations avec les collectivités territoriales. Engie est attentif, à la fois aux demandes de ses clients et aux tendances de long terme pour les accompagner, et cela se fait en relation avec des start-up qui portent des briques technologiques. « Concernant les demandes de nos clients, nous lançons régulièrement des appels à projets sectoriels à l’attention de start-up innovantes dans le but de résoudre des problèmes qu’ils nous posent. Le champ de recherche, exploré par Engie Fab, est alors des plus vastes, de la maintenance des éoliennes aux nouvelles solutions pour le maintien à domicile des personnes âgées… Une cinquantaine d’appels ont été lancés jusqu’à maintenant.

Parallèlement, Engie se lance dans la conceptualisation des futurs marchés énergétiques et va chercher les start-up en fonction de sa propre vision des choses ». C’est ainsi qu’Engie, qui a identifié les nouvelles mobilités parmi ses axes prospectifs prioritaires, a investi dans Symbio et racheté EV-Box, spécialiste des bornes de recharge pour véhicules électriques. Le groupe travaille en parallèle avec les collectivités pour installer des infrastructures et constituer des flottes de véhicules captives.

Transition énergétique dans les territoires, la situation paradoxale des clusters EE

Un volet du Panorama des cleantech en  France en 2017 est consacré à la transition énergétique dans les territoires. Guillaume Ayné du réseau Pexe a dressé le bilan, un an après la publication d’une étude approfondie sur les clusters verts en France. Le Pexe constate tout d’abord que « la France n’a toujours pas bien doté ses clusters, selon Guillaume Ayné. La décentralisation va de pair avec le reclassement des clusters au cœur des politiques publiques et notamment l’élaboration des schémas régionaux. Pourtant, on est dans cette situation paradoxale où des désengagements financiers importants sont constatés au niveau des clusters et pôles de compétitivités malgré leur rôle croissant ».

La France comptait 116 clusters et 89 pôles de compétitivité liés au cleantech en 2016, rassemblant près de 12 000 entreprises. Est-ce trop ? Faut-il, à l’image du Danemark, les rassembler sous l’égide d’un seul cluster national ? Guillaume Ayné répond que non, préférant un renforcement des interactions entre les clusters. Selon lui, l’ancrage dans un territoire et dans un secteur de marché n’empêche pas ces clusters et pôles de compétitivité de se projeter à l’international. Par ailleurs, « le regroupement des entreprises françaises au sein de ces clusters permet de compenser une de leur grande faiblesse : leur taille trop modeste », assure-t-il.

Article précédentPollution : les villes vont noter les véhicules
Article suivantAstradec, spécialisé dans les déchets, lève 2 M€