Méthanisation : « une installation sur deux est en difficulté »

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Entretien avec Guy Vasseur, président des Chambres d’agriculture –

Biogastour 2013
(Crédit : Flickr/BiogasTour)

Économie circulaire à la ferme, la méthanisation française recouvre un potentiel fort, tant du point de vue environnemental – avec la valorisation de déchets méthanogènes en énergie et en engrais – qu’économique avec la perspective d’améliorer la situation financière des éleveurs, souvent difficile. Pourtant les choses ne se passent pas exactement au mieux malgré les améliorations tarifaires proposées. Alors que les représentants du secteur présentaient la semaine dernière les résultats d’une étude sur l’état des lieux de la filière biogaz (ci-dessous), GreenUnivers fait le point avec Guy Vasseur, président des chambres d’agriculture.

GreenUnivers : En-dehors du coup d’arrêt constaté depuis la dernière réforme du soutien aux EnR, la méthanisation s’est développée rapidement et avec succès en Allemagne avec environ 8 000 installations de méthanisation cumulant près de 4 000 MW de capacité installée. Pourquoi cela n’a-t-il pas marché en France ?

(Source : étude biogaz)
(Source : étude biogaz)

Guy Vasseur : En une dizaine d’années seulement, grâce à une réglementation relativement souple et à des tarifs d’achat avantageux, l’Allemagne a effectivement réussi à mettre sur pied une véritable filière liée à la méthanisation, de sorte qu’elle fait aujourd’hui office de modèle. D’ailleurs, les matériels utilisés aujourd’hui en France viennent le plus souvent d’outre-Rhin.

Cependant, il est important de retenir que l’Allemagne a autorisé pendant longtemps l’utilisation massive d’ensilage de cultures, homogènes et stables, pour l’approvisionnement de ses méthaniseurs. On dénombre ainsi outre-Rhin, quelque 900 000 hectares de surfaces ensilées pour la production énergétique, soit entre un quart et un tiers des surfaces de maïs cultivées. La France n’a pas souhaité reproduire ce modèle basé sur des cultures dédiées – la filière ne l’a pas souhaité non plus d’ailleurs – , l’idée étant plutôt de valoriser des effluents d’élevage, des déchets du territoire, par nature, variables en quantité et en caractéristiques.

Les difficultés françaises viennent principalement de là : les matériels allemands se sont révélés peu adaptés aux intrants français, plus fibrés, variés et avec un taux d’indésirables parfois élevés – paille, cailloux, etc – entraînant des taux de casse sensiblement plus élevés qu’en Allemagne. Beaucoup d’installations ont dû se doter d’équipements supplémentaires tels que des broyeurs, des épierreurs pour protéger le cœur de leurs installations (brasseurs, digesteurs,…), ce qui a alourdi les coûts d’exploitation.

difficultés
(Source : étude biogaz)

Parmi les autres facteurs qui compliquent l’installation de méthaniseurs en France, il faut ajouter la lourdeur des normes techniques imposées par EDF – normes qu’elle ne s’impose pas elle-même sur l’emprise publique – et qui entraînent un surcoût estimé entre 20 et 25 000 euros par rapport à l’Allemagne. La baisse de recette sur les redevances déchets liée à la concurrence des gisements est également venu dégrader le business model.

D’un point de vue politique, il est clair que les tarifs d’achat, calculés au plus juste, n’ont pas permis de compenser ces surcoûts alors que 65% des sites déclarent une rentabilité inférieure à ce qui était prévu. Résultat : au moins une installation de méthanisation agricole sur deux est en difficulté.

GreenUnivers : La récente revalorisation du tarif d’achat pour les installations existantes suffira-t-elle ?

Guy Vasseur : Le message est positif mais cela ne suffira pas. La structure du tarif d’achat a été revue dans le bon sens. La prime pour l’utilisation des effluents a été rehaussée tandis que celle sur l’efficacité énergétique a été supprimée et intégrée au tarif de base. C’est une bonne chose selon nous car cette prime impliquait de valoriser la chaleur toute l’année et les éleveurs n’avaient pas toujours de débouchés à proximité, surtout l’été. Nous regrettons que la durée du contrat d’achat n’ait pas été prolongée de 15 à 20 ans. Cela aurait permis aux exploitants de recréer de la trésorerie en étendant leurs prêts par exemple.

Tarifs d'achat pour les installations valorisant le biogaz en cogénération (Source : APCA)
Tarifs d’achat pour les installations valorisant le biogaz en cogénération (Source : APCA)

Il reste évidemment des pistes d’amélioration en cours ou à faire progresser. La simplification réglementaire est absolument nécessaire. L’autorisation unique pour le permis de construire et l’autorisation d’exploiter est une bonne chose mais l’ensemble des démarches restent encore trop longues, complexes et coûteuses.

Le tabou de l’utilisation de cultures dédiées semble être en train d’être dépassé : la loi de transition énergétique adoptée cet été prévoit en effet de fixer un plafond pour le recours à ces cultures. Il n’est évidemment pas question d’atteindre les niveaux allemands mais leur utilisation est nécessaire pour stabiliser le fonctionnement des méthaniseurs. A l’heure actuelle, les cultures intermédiaires à vocation énergétique (CIVE), récoltées entre deux cultures principales, présentent un substrat intéressant grâce à leur fort potentiel méthanogène mais elles ne suffisent pas toujours.

(Source : étude biogaz)
(Source : étude biogaz)

Enfin, il y a un important travail à mener de la part du gouvernement auprès des banques, que l’on sent aujourd’hui extrêmement frileuses pour suivre des projets de méthanisation. En l’état actuel des choses, on s’attend à une division par deux du nombre de projets annuels à partir de 2016, alors que seulement 50 unités nouvelles ont été installées en 2014. On est loin des 1500 méthaniseurs en trois ans annoncés par Ségolène Royal en septembre 2014.

GreenUnivers : Qu’est-ce qui se profile pour les futures installations ? Une revalorisation est prévue…

Guy Vasseur : L’arrêté tarifaire sur les futurs sites (<500 kW) a été notifié à la Commission européenne. Il faudra donc plusieurs mois avant d’avoir un retour, d’autant que Bruxelles doit déjà valider avant 2016 les nouveaux mécanismes de marché qui lui ont été soumis par tous les pays membres. Il est donc probable que l’arrêté ne soit pas traité en priorité. La filière demande une bonification de 20% et l’extension du contrat de 15 à 20 ans.

Il est également question de privilégier l’injection de biométhane dès lors qu’un réseau est à proximité. Aujourd’hui, la France ne compte que 16 sites d’injection de biométhane (dont 12 d’origine agricole) or le taux de valorisation du biogaz est beaucoup plus élevé – 98% contre seulement 40% pour la conversion en électricité – et la chaleur renouvelable est plus rare, donc plus demandée, que l’électricité. Cela signifierait donc la revalorisation du tarif d’achat injection, instauré en 2011, qui va aujourd’hui de 45 à 135€ par MWh.

  • Consulter l’étude en détail ci-dessous ou ici (PDF) : 

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