Suntech a perdu, mais la Chine a gagné la guerre solaire (N. Rochon)

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Nicolas RochonLe chinois Suntech est en faillite. En moins de trois ans, la société est passée du rire aux larmes. Fin 2010, Suntech était en effet une star du photovoltaïque et incarnait l’image d’un futur champion mondial. Une entreprise sûre d’elle, ambitieuse : “Le jeu solaire mondial ne fait que commencer”, lançait son fondateur avec un brin d’arrogance. L’évolution est stupéfiante. Mais si  l’ex-numéro un mondial est désormais hors jeu, ce n’est pas le cas de la Chine. L’analyse de Nicolas Rochon, fondateur de RGreen, une société de conseil en investissement vert, et gérant de Infragreen, un fonds d’infrastructures sur les énergies renouvelables.

GreenUnivers : Il est difficile de croire que le symbole photovoltaïque de l’industrie chinoise est en faillite. Que s’est-il passé ?

Nicolas Rochon : La chute de Suntech était programmée. C’était assez évident d’en arriver là. Pour le comprendre, il faut remettre cette situation dans le contexte mondial du solaire, un secteur en pleine mutation depuis 2008 et en crise ces dernières années. Les industriels chinois ont engagé un dumping acharné sur le prix des panneaux, et un travail de sape des industriels européens. La guerre des prix a été d’une extrême violence, avec une baisse de 60% sur 2011-2012. Les industriels chinois ont gagné la première partie de cette guerre à l’image de la faillite de Q-Cells en Allemagne, celle de Photowatt en France, et de l’extrême fragilité de l’industrie solaire européenne. Le deuxième partie de cette guerre n’épargne plus les industriels chinois : Suntech a été pris à son propre jeu.

Suntech est un pionnier qui est arrivé trop tôt sur le marché. Le groupe paie aujourd’hui ses décisions prises entre 2007 et 2009, au moment où le photovoltaïque offrait une visibilité réglementaire et où la demande était bien supérieure à l’offre de modules sur le marché. Suntech a déployé un programme d’investissement monstrueux à cette époque. L’entreprise a levé de la dette qui est devenue un mur aujourd’hui. Cette stratégie aurait pu fonctionner si la croissance des volumes avait compensé la baisse des prix.

Le solaire a désormais changé d’univers. En plus d’une guerre des prix, le monde solaire d’aujourd’hui n’offre pas de visibilité réglementaire et l’offre dépasse désormais largement la demande.

GU : Pourquoi le gouvernement chinois ne porte-t-il pas secours à Suntech ?

NR : Avec la décision récente de Bruxelles d’enregistrer les panneaux chinois, Pékin a peut-être compris que l’Europe allait finir par engager une politique protectionniste sur le solaire. Une situation qui devrait peser sur les industriels chinois. Dans ce cadre, aux yeux de l’Etat chinois, Suntech est-il un leader technologique à protéger ou à sauver ? Au regard de la situation actuelle, la réponse est non : Suntech n’est pas, ou plus, stratégique.

Il y a deux ou trois ans, il aurait été logique que le gouvernement chinois sauve un tel acteur. Aujourd’hui, le travail de sape du marché a déjà été réalisé. La base de la production solaire mondiale est désormais en Chine, ou dans sa zone d’influence, comme la Malaisie. Même sans Suntech, cette zone va continuer à rester l’atelier solaire du monde. Dans la guerre entamée en 2008, seuls les plus solides finiront pas résister en Chine, soit avec un positionnement sur les modules low cost, soit avec un leadership technologique. La guerre du solaire est déjà gagnée pour la Chine.

GU : Quelles vont être les conséquences de la chute de Suntech sur le marché mondial ?

NR : Il n’y aura aucune conséquence sur l’industrie du solaire. La faillite de Suntech était prévisible. En Europe, cette situation pourrait éventuellement créer le doute autour des produits chinois, notamment sur les financements de projets. Les banques vont-elle accorder leur confiance à des installations solaires équipées par des fournisseurs chinois, sachant qu’ils pourraient disparaître demain ? Cela pourrait donc entraîner une redistribution temporaire des cartes au profit des produits européens.

Par ailleurs, il serait actuellement suicidaire d’investir dans l’industrie des panneaux. Le marché est devenu un véritable Casino, il n’offre pas de visibilité claire sur la demande, ni de stabilité sur les prix. Les grands gagnants du solaire sont à trouver en bas de chaîne de valeur, sur l’aval du marché, dans la production d’une électricité solaire de plus en plus compétitive.

 

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