L’autopartage pas rentable sans effet de masse

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Jean-Baptiste Schmider, fondateur d'Autotrement (Strasbourg) et directeur général de France-Atuopartage
Jean-Baptiste Schmider, fondateur d’Autotrement (Strasbourg) et directeur général de France-Autopartage

Yelomobile, premier réseau d’autopartage français, a vu le jour à La Rochelle à la veille de l’an 2000. C’était il y a 13 ans ! Depuis, les services se sont multipliés – on en compte une trentaine sur tout le territoire – et le nombre d’usagers recensés frôle la barre des 50 000 (dont la moitié sont des abonnés d’Autolib’ ). Mais le bilan n’en est pas moins sévère : Yelomobile n’est toujours pas rentable et la plupart de ses concurrents non plus. Jean-Baptiste Schmider, directeur du réseau d’opérateurs France-Autopartage, qui réunit 14 opérateurs présents dans une cinquantaine de villes, présente son analyse de ce marché terriblement lent à mûrir…

GreenUnivers : Le marché français de l’autopartage est encore très confidentiel et les opérateurs peinent à atteindre la rentabilité. Quand et comment le marché arrivera-t-il à maturité ?

Jean-Baptiste Schmider : Le marché de l’autopartage se révèle en fait très lent à mûrir. Sur une trentaine de services d’autopartage recensés en France, moins de cinq sont aujourd’hui rentables. Ils sont situés à Strasbourg, Marseille, Grenoble. En partant de ces observations, nous constatons que pour qu’un service puisse atteindre la rentabilité, il faut au minimum cinq années, une flotte d’au moins 50 véhicules, dans une ville de 200.000 habitants minimum. Dans les pays voisins, le marché a mis une quinzaine d’années à émerger. La France n’est donc pas encore en retard !

Difficile de dire quand le marché arrivera à maturité. Mais ce qui est sûr, c’est que la rentabilité est liée à la massification et pour cela il faut donner plus de visibilité à ce mode de déplacement. En ce sens, le service Autolib’ à Paris a été bénéfique car très médiatisé. Ensuite, il faut faire en sorte que l’autopartage s’intègre au bouquet d’offres de mobilité proposées dans la ville : métro, vélo, bus, etc. Enfin, il est nécessaire de changer la perception du grand public notamment sur le coût d’usage entre une voiture autopartagée et une voiture personnelle. Le coût moyen de possession d’une voiture est estimé à 6 000 € par an, aucun service d’autopartage n’est aussi cher ! L’autopartage représente donc une économie substantielle.

GU : L’autopartage représente une opportunité pour réguler le trafic dans la ville (lire encadré) et devrait donc intéresser les collectivités. Quel est leur positionnement aujourd’hui ?

Les collectivités ne sont pas très à l’aise avec l’autopartage car c’est un OVNI. Elles ne savent pas s’il faut le considérer comme un service public au même titre que les transports collectifs. Résultat : de tous les services d’autopartage recensés en France, seuls trois sont des délégations de service public (voir carte plus bas, NDLR), et ce sont tous des systèmes d’autopartage électrique. Côté financement, l’apport de deniers public reste modeste même si les collectivités sont bienveillantes à l’égard des services d’autopartage. Les services d’autopartage électrique bénéficient d’un soutien plus important car la dépense en infrastructure est aussi plus lourde, mais en règle générale, l’autopartage est à 95% le résultat d’initiatives privées et autofinancées.

Au-delà du soutien financier, nous considérons que les collectivités ont un rôle à jouer dans le développement de l’autopartage via la mise en place de politiques globales restreignant l’usage de la voiture, etc. Par exemple, à Londres, l’autopartage a explosé depuis l’instauration du péage urbain.

Une opportunité pour les villes ?

 L’autopartage participe à la réduction du trafic en diminuant le nombre de voitures en circulation et en libérant de l’espace de stationnement. C’est ce que montre une enquête menée par le bureau de recherche 6-T auprès de 2 000 usagers de services d’autopartage. Elle souligne que les usagers d’un service d’autopartage sont plus enclins à se séparer de leur voiture personnelle après s’être abonnés et qu’ils utilisent plus les autres modes de transports collectifs.

Le nombre de ménages qui ne possèdent pas de voiture augmente de 40% après l’adhésion à un service d’autopartage. Mais le nombre moyen de kilomètres parcourus en voiture diminue sensiblement, passant de 5 246 Km à 3 115 km par an en moyenne. « La possession d’une voiture entraîne un réflexe d’usage qui fait qu’on l’utilise pour tout. Quand la voiture est partagée, son usage est rationnalisé », indique Nicolas Louvet, directeur de 6-T.

GU : Pourquoi les loueurs de voitures traditionnels ne sont pas plus présents sur ce marché ? Et les constructeurs ?

Tout d’abord, la gestion d’un service d’autopartage est un métier à part. On dirait que cela ressemble à de la location de véhicules classiques mais dans les faits, la gestion est beaucoup plus fine : les locations sont plus courtes, les points de stationnement doivent être beaucoup plus nombreux, il y a un système d’abonnement, etc.

Cela dit, les loueurs ont bien perçu le potentiel du marché et s’y engagent progressivement. Le signal le plus frappant de cette tendance a été le rachat du leader américain de l’autopartage Zipcar par le loueur Avis. Mais il y a d’autres signes plus discrets qui indiquent que les loueurs font le test avant de se lancer : à Nantes, le service d’autopartage Marguerite est gérée par la société Europcar depuis 2008. La même année, Hertz  a lancé son propre service, Connectbyhertz, à Paris, New-York et Londres.

Concernant les constructeurs, je crois qu’ils n’y voient pas encore d’opportunité car le débouché en termes de ventes est minime. Cependant, il ne faut pas oublier que Daimler a développé son service Car2Go dans une vingtaine de ville d’Europe et d’Amérique. Il s’est même essayé à Lyon avant d’abandonner pour des raisons juridiques.

Sur l’autopartage électrique, on voit que cela peut servir de test grandeur nature pour les véhicules des constructeurs : c’est un peu le cas avec les 70 I-road que Toyota fournira au service Cité lib à Grenoble à partir de septembre 2014, ou encore le service Twizy Way de Renault à Saint-Quentin en Yvelines.

Propos recueillis par Anne-Claire Poirier

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Repère : les services d’autopartage électriques en France

(Survolez la carte pour en savoir plus à propos de chaque service)

 

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