Linky enlisé, la filière française des compteurs intelligents en péril

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La France a-t-elle déjà perdu le pari industriel des compteurs intelligents ? “Linky est en avance sur le plan technologique mais le retard pris pour le lancement de l’appel d’offres met la filière française en danger. Pendant que les discussions se prolongent chez nous, d’autres avancent dans le déploiement comme l’Espagne ou la Grande-Bretagne. Et les Italiens remportent des marchés avec une technologie plus rustique mais prête”, regrette Philippe Vié, responsable de l’offre smart energy services de Capgemini Consulting, qui participe à la conférence SG Paris 2012 sur les réseaux intelligents, à La Défense, du 20 au 22 juin.

ERDF, le gestionnaire de réseau en charge du déploiement des futurs compteurs, s’inquiète également : “l’expérimentation a été une réussite, il faut maintenant passer à l’action”, a indiqué Marc Boillot, directeur de la stratégie et des grands projets, lors d’une conférence de presse hier. Les fabricants de compteurs mettent aussi la pression : “Linky est l’un des compteurs les plus évolués du monde. Beaucoup de sociétés en Europe et au Japon attendent son déploiement, le marché à l’export est très important mais il faut aller vite”, insiste Christian Huguet, directeur général de Landis+Gyr France, filiale du géant japonais Toshiba.

Encore des mois à attendre ?

Si le gouvernement a validé le principe d’un déploiement du compteur communicant Linky en septembre 2011 après une expérimentation de plus d’un an et plusieurs audits, le processus achoppe sur le cadre réglementaire et les modalités de financement. ERDF doit en effet investir près de 4,5 milliards d’euros pour le déploiement des 35 millions de compteurs d’ici à 2020. Pour rentabiliser cet engagement, l’entreprise veut être sûre de bénéficier d’une concession des compteurs sur 20 ans car ce sont les gains attendus grâce à Linky (diminution des pertes d’exploitation, réduction du nombre de déplacements pour la relève des compteurs et les interventions…)  qui doivent assurer le retour sur investissement.

Le hic, c’est que les compteurs sont la propriété des “autorités concédantes”, c’est à dire des collectivités. Les discussions entre la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) et ERDF patinent depuis des mois, avec des points de blocage notamment sur les modalités d’indemnisation des collectivités. Après une interruption, elles ont cependant repris. “Nous avons un accord potentiel, a indiqué Marc Boillot à GreenUnivers. Mais il doit encore être validé par la CRE”.

Les élections et le changement de gouvernement ont aussi pesé sur l’avancée du dossier et aujourd’hui, personne ne sait quand il sera débloqué. Le sujet du compteur intelligent pourrait en effet être abordé dans le cadre du futur débat sur l’énergie annoncé par le nouveau gouvernement. Un proche du dossier redoute à cette occasion une “remise à plat complète qui ferait de nouveau perdre des mois et des mois”. Peur injustifiée ou risque réel ? Le fait que dans l’entourage de la nouvelle ministre de l’Ecologie et de l’Energie, Nicole Bricq, tout le monde ne semble pas favorable à Linky attise en tout cas l’inquiétude.

La France déjà hors du calendrier ?

“Une fois l’accord signé, il y aura le temps de l’appel d’offres, puis la fabrication et enfin la pose.  Au total, il faudra 4 à 5 ans pour le déploiement”, rappelle Philippe Vié. A ce rythme, le calendrier prévu risque fort ne de ne pas être tenu ! Le déploiement devait initialement démarrer en 2013 et atteindre rapidement le rythme de 7 millions de compteurs posés par an pour arriver à 35 millions de compteurs installés en 2020.

Marc Boillot/DR

“Nous avons encore le temps, rassure Marc Boillot, tout en lâchant que “si on ne tient pas les délais, ce n’est pas un drame”. Peut-être pas sur le plan réglementaire, mais ce retard met sérieusement en péril l’avenir de la filière française des compteurs, qui voit les marchés à l’export pris par d’autres acteurs. “C’est d’autant plus regrettable que nous avons de grands équipementiers, des utilities et des opérateurs télécoms prêts à profiter de ces marchés”, regrette Philippe Vié.

Une série de tests et des développements technologiques

L’enjeu est aussi important sur le front de l’emploi : Linky doit permettre de créer 10 000 emplois sur le territoire, dont une bonne partie pour la pose. “Nous prévoyons de construire une seconde usine en France et de recruter plus de 100 personnes, mais nous avons besoin de visibilité”, affirme ainsi Christian Huguet. Son rival, le groupe allemand Elster, actuellement en vente, est dans la même situation : “Nous avons un prototype agréé par ERDF qui nous permettra de répondre à l’appel d’offres. Notre usine de Lognes, en région parisienne, est prête à monter en capacité pour produire”, renchérit Pierre Bezzina, solution manager.

Marc Boillot se veut rassurant et affirme que cette période d’attente n’est pas du temps perdu : “Nous en profitons pour communiquer avec les clients pour faciliter l’appropriation, tester les comportements des consommateurs… Cela nous permettra de nous appuyer sur une base solide lors du déploiement”.

Les industriels font aussi contre mauvaise fortune bon coeur et utilisent ce délai pour avancer sur les développements technologiques. La première vague de 7 millions de compteurs doit en effet être basée sur la technologie actuelle dite ” CPL G1″ (courant porteur en ligne) : c’est le protocole de communication entre le compteur et le concentrateur. Mais l’objectif est ensuite de passer à la technologie “CPL G3”, en cours de développement. Le principal enjeu entre les deux technologies résidant dans la rapidité de transmission des informations.

A ce rythme, Linky sera peut-être un bijou technologique lors de son déploiement, mais il pourrait aussi ne plus avoir beaucoup de marchés à conquérir à l’international.

 

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