Eolien offshore : deux juristes décryptent l’appel d’offres

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La France a publié son appel d’offres pour développer une puissance de 3.000 MW sur cinq zones au large des côtes de la Manche et de l’Atlantique. Nous avons demandé à deux juristes, experts en énergies renouvelables, d’analyser le cahier des charges : Anne Lapierre, avocate et associée du cabinet international Norton Rose et Mounir Meddeb, avocat au sein d’Energie-legal, cabinet spécialisé dans le secteur de l’énergie (*).

GreenUnivers :  Le cahier des charges français vous semble-t-il en ligne avec les appels d’offres éoliens offshore lancés ailleurs en Europe ? Les grandes caractéristiques techniques, administratives et réglementaires sont-elles similaires à ce qui se fait dans d’autres pays comme le Royaume-Uni ou l’Allemagne ?

Anne Lapierre : Il y a des différences. Ainsi, l’Etat n’a pas effectué les études environnementales préliminaires au développement d’un tel projet, comme les études de vents et de sol sur les zones concernées. Ne les ayant pas à disposition, chaque candidat doit donc réaliser lui-même ses études pour pouvoir répondre. Cette situation implique que plusieurs études identiques seront réalisées sur une même zone. L’Etat aurait pu réaliser ces études, une seule fois, puis les mettre à disposition des candidats de manière équitable. C’est ce qui se fait majoritairement ailleurs dans le monde dans le cadre d’appels d’offres concernant des contrats de type IPP (independent power producer).

L’offre technique des candidats requiert bien évidemment la réalisation d’un certain nombre d’études, en particulier concernant l’impact environnemental du projet mais également concernant le projet lui même car il est demandé de fournir la description détaillée du projet, à savoir l’implantation des aérogénérateurs, des câbles inter-éoliennes, du raccordement en mer et terrestre, des infrastructures portuaires… ainsi que le type et la localisation de tous les aménagements particuliers. Tous les candidats devront effectuer ce travail pour pouvoir produire leur offre. C’est le travail habituel du développeur offshore, similaire dans tous les pays d’Europe.

La difficulté tient au fait que pour pouvoir réaliser avec pertinence les études d’implantation du projet, il est nécessaire de bien connaître le site. Tel n’est pas le cas puisque, à ce jour, aucun des opérateurs n’a réalisé ces études (météo-océaniques, hydrosédimentaires, géotechniques et géophysiques), qui sont coûteuses. L’étude géotechnique implique la présence d’un bateau sur site pendant 1 mois et engendre un coût avoisinant le million d’euros. Aucun opérateur ne souhaite engager ce type de dépenses sans être certain de bénéficier d’une exclusivité sur la zone. Ces études ne seront réalisées que lorsque le candidat aura été sélectionné. C’est la période dite de “levée des risques”, période de 18 mois pendant laquelle le candidat sélectionné va réaliser les études. C’est uniquement au terme de cette période que le candidat pourra confirmer la faisabilité du projet aux conditions de son offre. Si les résultat des études ne sont pas satisfaisants (par exemple nature du sol très inégale engendrant des fondations beaucoup plus onéreuses que celles prévues), le candidat peut décider de renoncer au projet.

Dans l’appel d’offres lancé par le Royaume Uni, les études sont faites par l’Etat, à ses frais, et mises à disposition des candidats. Ainsi, les offres des candidats sont préparées sur le fondement de données techniques fiables. Il n’existe donc pas le même risque de voir un candidat sélectionné abandonner son projet.

Mounir Meddeb : Le système allemand de soutien à l’éolien offshore – celui que je connais le mieux – n’est pas basé sur un système d’appel d’offres mais sur plusieurs dispositifs de soutien et d’aides. Tout d’abord, contrairement au cas français, la filière de l’éolien offshore allemand est basée sur une très grande expertise en matière d’éolien terrestre et la présence d’une filière très structurée. En France, les appels d’offres sont une tentative de créer et de structurer dans des délais très courts une filière qui n’existe pas réellement au sens industriel et compétitif du terme, à ce jour. De ce point de vue, les pouvoirs publics français font les choses à l’envers.

Par ailleurs, au-delà de sa complexité et des incertitudes (notamment juridiques) qu’il fait peser sur les acteurs et sur la procédure, l’appel d’offres ne me semble pas un dispositif approprié de soutien à cette filière. En effet, pour prendre le cas allemand, le soutien s’est manifesté à travers un tarif d’achat attractif, des bonus pour les projets démarrant avant 2016, un cadre réglementaire stable depuis le début des années 2000, la mise en place d’un site pilote pour tester les différentes technologies, la prise en charge des coûts du raccordement par le gestionnaire du réseau… Cela permet à un projet aussi important qu’Alpha Ventus de pouvoir voir le jour.

En France, l’appel d’offres a un côté artificiel car nous savons qui seront les gagnants des différents lots avant même le lancement ! Les questions qui se posaient portaient plutôt sur les différentes compositions des consortiums et le jeu des alliances pour emporter tel ou tel lot. Nous savons également que compte tenu des montants en jeu, tous les consortiums seront impliqués dans l’éolien offshore français. Cela rend factice l’appel d’offres. Par ailleurs, eu égard aux montants en jeu, à la complexité et à la nouveauté, le tarif proposé sera sensiblement proche entre les différents offres.

GU : Que pensez-vous de la portée industrielle du cahier des charges  ?

Anne Lapierre : L ‘objectif affiché du gouvernement est de créer une filière industrielle française. Le cahier des charges est extrêmement exigeant sur le programme industriel proposé par le candidat, qui se doit de nouer des partenariats avec le plus grand nombre de sous-traitants ou partenaires actifs à tous les niveaux de la chaîne de production et construction de la filière, afin de sécuriser l’approvisionnement et donc la réalisation du projet. La création de nouvelles capacités de production est un élément important dans le dossier et, bien qu’il ne soit pas précisé dans le cahier des charges que ces nouvelles unités de production devront être situées sur le territoire français, il est clair que telle est bien l’attente du gouvernement. Message d’ailleurs semble-t-il reçu 5 sur 5 par les acteurs du secteurs. Il est en effet intéressant de noter que les consortiums déclarés sont composés de grands groupes français (GDF Suez, Areva, Alstom…) et que les grands européens actifs dans le secteur sont restés très discrets. Seuls Dong et Iberdrola sont officiellement positionnés, mais l’absence d’Eon, RWE, Vattenfall ou encore Siemens ou Vestas dans ces consortiums est pour le moins surprenante et est probablement la conséquence directe des exigences du cahier des charges sur le volet industriel.

Le contenu du cahier des charges devrait donc générer la création d’un nombre d’emplois important en France. Le fait d’autoriser les candidats à soumettre des offres liées sur plusieurs zones va dans le même sens. Gagner plusieurs zones permet de justifier économiquement la création d’une unité de production, en donnant de la visibilité sur le volume et la pérennité du marché. La situation géographique de la France, au coeur de l’Europe, devrait permettre également à ces nouvelles unités de production (probablement de construction, d’aérogénérateurs, de mâts, de pales ou de pièces clés pour la construction) de servir les marchés offshore des autres Etats européens, en particulier l’Allemagne et le Royaume Uni dont le planning de construction off-hore est bien plus ambitieux que les objectifs français (UK : 2.500 MW de construits, 13.500 MW d’autorisés 32.000MW prévus pour l’appel d’offres “Round 3” soit 75 milliards d’investissement annoncé, Allemagne : 10.000 MW pour 2020 et 25.000 MW pour 2030)

Mounir Meddeb : Comme le soulignait le rapport de PwC de décembre 2010, l’appel d’offres peut avoir un impact potentiel très positif en termes d’emploi et de retombées industrielles à condition, notamment, de prévoir un accompagnement politique local fort et qu’il y ait une mobilisation des industriels sur des projets innovants, permettant de se différencier des leaders européens. Il était dont naturel qu’une connotation industrielle très forte domine l’appel d’offres avec une notation aussi importante que le prix.

En revanche, l’appel d’offres peut être perçu comme recherchant à orienter les retombées en France uniquement, ce qui a moins de sens dans le cadre d’un marché européen et surtout en tenant compte du fait que l’expertise réside pour une large part en Allemagne, au Danemark, voire en Espagne. Le choix se fera finalement sur la base de considérations essentiellement politico-industrielles.

GU : Au regard de cet appel d’offres, le dispositif mis en place par l’administration vous semble-t-il adapté au bon développement de l’éolien en mer en France ? Les risques juridiques sont-ils importants ?

Anne Lapierre :  L’appel d’offres lancé par le gouvernement est une très bonne chose, et la France devrait enfin voir des parcs tourner au large de ses côtes. Toutefois, il convient d’afficher un enthousiasme mesuré car la capacité installée proposée dans l’appel d’offres pour cette tranche (3 GW) et celle annoncée pour avril 2012 (3 GW supplémentaires) sont insuffisantes pour réaliser l’objectif de 6 GW pour 2020. De plus, une part non négligeable des projets qui seront sélectionnés feront l’objet de recours et ne pourront être construits qu’après 2020.

Il est regrettable que la première tranche de l’appel d’offres n’ait pas été lancée pour une capacité bien supérieure (5 ou 6 GW) et un nombre de zones plus important, car avec la diminution possible de 20% de la capacité installée au regard de la différence entre les maxima et les minima aujourd’hui imposés par zone, les recours qui ne manqueront pas de fleurir contre les autorisations administratives requises pour la construction et l’exploitation d’un projet éolien en mer (par exemple autorisation loi sur l’eau), et le fait que les candidats peuvent choisir de ne pas réaliser le projet au terme de la période de levée des risques, il est d’ores et déjà certain que la France ne pourra remplir son objectif de 6 GW pour 2020.

Une autre inquiétude légitime concerne les délais de réalisation. Le planning actuel du gouvernement prévoit une construction des projets de la première tranche entre 2015 et 2020. Or,  il est raisonnable de penser que les autorisations administratives délivrées pour ces projets feront l’objet de recours devant les tribunaux de la part du lobby anti-éolien et/ou de riverains. Si l’on s’en réfère à la situation de l’éolien terrestre, il est également raisonnable de penser que la majorité de ces recours seront perdus par les demandeurs. Cependant d’importants retards seront induits par ces recours, car les établissements de crédit ne prêteront les sommes exigées pour la construction du projet que lorsque les autorisations requises seront toutes devenues définitives. Les recours induisant un retard moyen de 3 à 6 ans, l’objectif de 6 GW pour 2020 est donc totalement inatteignable, sauf dans l’hypothèse où dans l’année l’Etat décidait de doubler la capacité offerte.

Mounir Meddeb : Les difficultés procédurales seront nombreuses. En effet, les procédures sont, d’une part complexes, et d’autre part multiples, impliquant plusieurs expertises en droit public, droit de l’environnement, droit de l’électricité. Le cadre réglementaire n’a pas bénéficié de la même volonté politique que le principe même du lancement de l’appel d’offres. Ce cadre demeure complexe, flou et peu incitatif. Il est ainsi à regretter qu’un dispositif type guichet unique n’ait pas été mis en place pour faciliter les démarches des candidats. Par ailleurs, il convient de ne pas négliger la complexité de l’ensemble contractuel à mettre en place en raison de la spécificité et de la complexité – et donc des risques – des projets ainsi qu’à la multiplicité des intervenants.

Concernant le risque contentieux, il est réel. Cependant, il conviendra de distinguer les recours entre candidats dont l’ampleur dépendra de la manière avec laquelle les lots auront été « répartis » entre les différents candidats et les recours des associations, notamment celles qui militent contre l’implantation de ces projets pour différentes raisons (environnementales, activités locales, etc).

Propos recueillis par Alexandre Simonnet

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(*) Mounir Meddeb a travaillé pendant 6 ans à la Commission de régulation de l’énergie avant de rejoindre le cabinet d’avocats Ashurst LLP où il a pris en charge le développement de l’activité énergie. Il est docteur en droit et enseignant aux universités d’Aix-en-Provence et de Toulouse I.

 

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