Le risque contractuel est majeur dans l’éolien offshore (Norton Rose)

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Le développement d’un projet éolien en mer est beaucoup plus risqué qu’un projet terrestre. Si l’éolien offshore pourrait être synonyme d’eldorado – un marché de 10 milliards € est annoncé pour le développement de 3.000 MW en France – il est aussi synonyme d’un risque contractuel élevé. Alors que l’appel d’offres français a été publié cette semaine, GreenUnivers revient sur l’un des enjeux majeurs de l’éolien en mer avec Anne Lapierre, avocate et associée au cabinet international Norton Rose.

GreenUnivers : Pourquoi un projet éolien est-il plus risqué en mer qu’à terre ? 

Différentes raisons expliquent cette situation. D’abord, l’environnement y est moins accueillant, la mer est un lieu très compliqué, où la saisonnalité joue un rôle crucial dans le développement d’un chantier. Il y a des enjeux d’accessibilité des sites et des problèmes de corrosion, de sol, de météo… Comme une grande technicité régit la construction de tels projets, de nombreux corps de métiers sont impliqués dans son développement.

Dans l’éolien terrestre, le modèle des contrats clés en main est souvent la norme. La société chargée de la maîtrise d’oeuvre, en général le fabricant de turbines, mais pas toujours, ne dispose pas de toutes les compétences requises pour mener le projet de A à Z, mais porte tout de même l’ensemble des risques. Dans cette situation, la société de projet porte relativement peu de risques, outre les études techniques et environnementales diverses. Traditionnellement, un contrat clé en main coûte en moyenne 10 à 15% plus cher que des contrats de construction par lots, où la société de projet négocie elle-même au cas par cas.

En mer, les choses sont différentes. Le coût global du projet, donc l’enjeu en termes de risque d’échec, est plus élevé. De même, le nombre d’intervenants sur le projet est beaucoup plus important, engendrant une problématique multicontractuelle. L’environnement en mer étant hostile, si un cocontractant ne réalise pas sa prestation en temps et en heure, l’intégralité du calendrier de construction peut être mis en danger. Imaginons que ce cocontractant soit un bureau d’études réalisant une étude des sols, avec une prestation s’élevant à quelques centaines de milliers d’euros. La défaillance de sa prestation peut bloquer un fabricant de fondation, dont la prestation s’élève à plusieurs dizaines de millions d’euros, puis un fabricant de turbines, etc. Ce risque peut engendrer, en fonction de la saisonnalité – les travaux sont plus aisés à réaliser en été qu’en hiver – un retard de plusieurs mois, voire d’un an. Certaines parties prenantes ont donc des contrats relativement modestes en valeur au regard du coût en milliard d’euros du projet dans son ensemble. Plus il existe de petits contrats, plus le risque de défaillance est grand, c’est le risque d’interface.

Tout l’enjeu est donc de définir le niveau de responsabilité de chacune des parties prenantes. La difficulté du risque contractuel est ainsi posée : une société de projet veut-elle une entreprise qui prend tous les risques pour elle, avec un modèle de contrat clé en main, type EPC (Engineering, Procurement and Construction), ou prend-elle le risque de négocier elle-même auprès des différentes parties le développement de son projet ?

GU : Dans l’éolien offshore, quelles sont les solutions qui s’offrent concrètement aux sociétés de projets ?

Il y a trois grandes alternatives en termes de structuration contractuelle pour l’éolien offshore. Il y a d’abord le contrat clé en main. Cela s’est déjà vu en Europe, mais ce n’est pas la voie la plus empruntée, de par son coût, mais aussi parce qu’il n’y a presque aucune entreprise qui propose cette solution sur le marché. Les risques de défaillances sont trop importants. Néanmoins, cette approche existe et peut être cohérente dans le cadre d’un regroupement d’entreprises, via “une société tête de pont”.

Ensuite, il y a le modèle allemand, qui comprend des contrats clés en main par lots de travaux : la partie fondation, la partie turbines – conception, production, transport/navire et installation – et la partie électrique. Ce dernier lot peut d’ailleurs être divisé lui même en deux entre la connexion électrique inter-éoliennes, et le transport de l’énergie à terre. Cette solution est plutôt rassurante car il y a cinq entreprises complètement responsables de leur lot. Néanmoins, elle ne gère pas le problème de défaillance d’un petit co-contractant. Le risque d’interface contractuelle reste.

Dernière option possible, une société de projet confiante en ses ressources techniques et financières va négocier elle-même les différentes prestations, et découper le projet en de nombreux petits lots respectifs. A titre d’exemple, Norton Rose conseille le Crown Estate au Royaume-Uni et est présent sur des projets offshore en Allemagne ou aux Pays-Bas. Nous avons déjà vu des projets comportant 20 ou 25 lots, avec un risque d’interface très élevé. Des opérateurs comme Dong Energy ou Shell par exemple, des groupes qui ont vraiment une expertise dans le domaine et qui peuvent accompagner leurs différents sous-traitants, disposent de la compétence technique pour gérer une telle situation et contrôler les risques.

GU : En France, un modèle sera-t-il privilégié ? 

L’éolien offshore est un business de grandes personnes, et seuls les grands groupes pourront y participer, car ils sont les seuls à disposer d’un bilan solide, avec des capacités de financement importantes, et donc des prises de risque plus grandes. De même, les grandes entreprises disposent d’une capacité technique pour faire face aux contretemps possibles, en termes de temps de réaction et de profondeur de trésorerie. Pour bien comprendre les enjeux de l’éolien offshore, il faut rajouter le paramètre de la bancabilité et de la rentabilité des projets.

Les banques sont plutôt frileuses dans ce genre de projet et attendent de nombreuses garanties. Pour elles, moins il y a de contrats, moins il y a de risques de défaillance, et plus elles sont enclines à prêter de l’argent. Par définition, ces financements de projets sont sans recours, c’est à dire qu’une banque ne peut être remboursée que sur le fruit – les produits – généré par l’actif. Il n’y a pas de recours contre les actionnaires de la société porteuse du projet. Si l’actif n’est jamais construit, la banque a tout perdu. Le risque d’interface contractuelle est donc crucial pour les banques. Leur principe est donc de réduire le nombre de lots d’un projet, pour limiter le risque d’interface, de s’assurer de la compétence et de la fiabilité des cocontractants et d’obtenir un maximum de garanties.

En France, nous pensons néanmoins qu’il y aura peu d’offres clés en main. Il y a d’abord trop peu d’entreprises offrant ce type de prestation sur le marché. De plus, un contrat EPC sur l’offshore, éradiquant tous risques pour la société de projet, représente sans doute un surcoût avoisinant 20%. Qui pourra assumer cet investissement au regard des contraintes de coûts pesant sur le MW offshore ?

GU : Actuellement, la constitution de consortiums laisse plutôt penser à des projets découpés en quelques lots. Cette solution est-elle celle qui va s’imposer ? 

En effet, la constitution de consortiums en France laisse penser que des entreprises se regroupent pour s’adjoindre des compétences complémentaires. Il est donc possible d’envisager, sur la base du modèle allemand, un projet découpé en trois à cinq lots. Mais aujourd’hui nous ne pouvons pas préjuger de ce qu’il va se passer, même si l’enjeu de bancabilité pousse dans ce sens. Et tous les consortiums ne sont probablement pas encore constitués, ce qui rend la situation très mouvante.

Sur l’éolien offshore, et compte-tenu de la teneur du cahier des charges que nous avons pu consulter, nous pensons qu’il faudra faire du sur-mesure sur ce type de projet. L’enjeu est de trouver la bonne combinaison entre les acteurs impliqués, la compétence des financeurs et du consortium constitué, les choix stratégiques à faire sur la constitution de lots et le caractère de l’appel d’offres lui même. Un autre paramètre aura aussi son importance : l’assurance. C’est un des outils pour contrôler le risque d’interface contractuelle.

Enfin, la phase d’appel d’offres est une période délicate, car cette situation en amont, bien avant la réalisation des projets, s’illustre par une phase de négociation “molle” entre les entreprises. Compte-tenu des critères industriels imposés par l’appel d’offres, elles doivent signer des protocoles d’accord, des lettres d’intention, des partenariats pour s’allier les compétences de diverses entreprises. Ensuite, cette équipe d’entreprises répondra à l’appel d’offres : elles sont liées pour y aller ensemble si elles remportent le marché, sans être liées si elles le perdent. Dans ce dernier cas, de par les coûts engendrés pour répondre à ce type de marché, la question est aussi de savoir qui supportera in fine les coûts de développement dans une situation d’échec. Le risque contractuel est donc à comprendre dans différents scénarios.

Propos recueillis par Alexandre Simonnet

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