Effacement diffus : Voltalis remporte une victoire devant le Conseil d’Etat

Print Friendly, PDF & Email

A la suite d’une requête de Voltalis, le Conseil d’Etat vient d’annuler la délibération de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) du 9 juillet 2009 qui imposait aux opérateurs d’effacement diffus de rémunérer les fournisseurs d’électricité dont les clients font l’objet d’effacements et réduisent donc leur consommation. C’est une victoire pour les opérateurs d’effacement, dont Voltalis au premier rang, et une défaite pour les fournisseurs d’énergie comme EDF et aussi pour la CRE. L’analyse de Mounir Meddeb, avocat au barreau de Paris, au sein d’Energie-legal, cabinet spécialisé dans le secteur de l’énergie (*).

Le contexte

Pour en donner une définition synthétique, le dispositif des effacements diffus consiste, au moyen d’une régulation de la consommation de certains équipements électriques dont l’alimentation peut être suspendue à certaines plages horaires, à valoriser la capacité d’effacement de clients résidentiels ou non-résidentiels dans le cadre du mécanisme d’ajustement géré par RTE.

Matériellement, ce dispositif consiste à installer un boîtier électronique connecté, d’une part, au tableau électrique afin de commander l’alimentation des appareils électriques concernés au compteur afin de comptabiliser le niveau d’effacement et assurer de ce fait l’ajustement et, d’autre part, à un système d’information qui permet la centralisation des informations concernant l’ensemble du parc des boîtiers installés et qui constitue l’interface avec RTE.

Dans le cadre de ce nouveau marché, plusieurs opérateurs ont vu le jour dont, à titre d’exemple, Voltalis pour les particuliers, EnergyPool pour les industriels et les collectivités, Ergelis pour les gros consommateurs ou encore Actility.

Cadre juridique mis en place par la CRE

Afin d’encadrer ce nouveau dispositif, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) a adopté trois délibérations. Une première décision en date du 5 décembre 2007 relative aux règles transitoires de mise en œuvre des effacements diffus dont l’objet était d’inviter les acteurs du marché à procéder à une concertation sur les éventuelles modalités d’intégration des effacements diffus dans le mécanisme d’ajustement, laquelle concertation devant déboucher sur une expérimentation. Une deuxième décision en date du 18 juin 2009 portant approbation de la prolongation des règles transitoires de mise en œuvre de l’expérimentation relative aux ajustements diffus et enfin, une troisième décision en date du 9 juillet 2009 dont l’intitulé exact est le suivant : Délibération de la Commission de régulation de l’énergie portant communication sur l’intégration des effacements diffus au sein du mécanisme d’ajustement.

C’est cette dernière délibération qui a fait l’objet de la censure du Conseil d’Etat par une décision en date du 3 mai 2011.

La délibération attaquée

Dans sa délibération du 9 juillet 2009, la CRE avait invité les acteurs à :

–      « définir en concertation avec les acteurs concernés les modalités de la contractualisation par RTE d’une capacité d’effacement de consommateurs raccordés aux réseaux publics de distribution, capacité qui devra être rémunérée à son juste prix. Sur la base des résultats de l’expérimentation, ces travaux devront permettre une contractualisation avant mi-2010 ;

–      étudier d’autres dispositifs permettant la valorisation des effacements diffus en dehors du mécanisme d’ajustement », etc.

La CRE a également fixé de manière obligatoire le principe selon lequel il appartient à l’opérateur d’effacement diffus de rémunérer les fournisseurs dont les clients ont fait l’objet d’effacements et ont donc réduit leur consommation d’électricité.

Ainsi la CRE indique dans une section intitulée « Recommandations de la CRE pour les évolutions futures » que « Comme précisé en annexe à la présente délibération, la loi du 10 février 2000 impose, dans le cadre du mécanisme d’ajustement, que l’opérateur d’effacements diffus rémunère les fournisseurs dont les clients se sont effacés pour l’énergie injectée par ces fournisseurs et valorisée par l’opérateur d’effacements diffus ». L’annexe en question est conclue sur un paragraphe aux termes duquel « C’est donc par l’opérateur d’effacements diffus que doit être rémunéré le producteur A pour l’énergie injectée mais non consommée par ses clients. L’opérateur d’effacements diffus intègrera ce coût dans son prix d’offre d’ajustement à RTE ».

C’est précisément ce point que la société Voltalis a contesté devant le Conseil d’Etat dans le cadre d’un recours en excès de pouvoir tendant à annuler la délibération de la CRE du 9 juillet 2009.

Position de la CRE

Deux arguments ont été avancés par la CRE pour fonder sa défense, arguments qui ont été tout deux écartés par le Conseil d’Etat.

D’une part, la CRE a opposé une fin de non-recevoir au motif que la délibération en question ne revêt pas un caractère décisoire et ne peut donc faire l’objet d’un recours en excès de pouvoir. D’autre part, la CRE a considéré qu’en tout état de cause, il lui appartenait dans le silence de la loi d’expliciter l’économie générale de l’article 15 de la loi du 10 février 2000 et d’indiquer la manière dont la rémunération des opérateurs d’effacements pouvait être prise en compte dans le mécanisme d’ajustement.

La décision du Conseil d’Etat

Le Conseil d’Etat a répondu par la négative aux deux arguments avancés par la CRE.

–  Concernant la nature de la délibération, la Conseil d’Etat a estimé que la mention selon laquelle il appartenait à l’opérateur des effacements diffus de rémunérer les fournisseurs, revêt un caractère décisoire et non interprétatif. Cette décision faisant grief à la société Voltalis, elle est dès lors susceptible de faire l’objet d’un recours en excès de pouvoir.

Sur ce premier point, la position du Conseil d’Etat ne peut être qu’approuvée. En effet, la formulation de la décision de la CRE – rappelant qu’il s’agit d’une obligation édictée par la loi du 10 février 2000 – ne laisse aucune marge pour les acteurs du marché. De même, l’invitation de la CRE ne portait pas sur une concertation du principe de la rémunération mais uniquement sur les modalités d’une telle rémunération.

Il est vrai que la CRE emploie les termes de recommandation, délibération, communication, etc. Néanmoins, cela ne doit pas occulter le caractère décisoire de cette délibération sur ce point. Ainsi le Conseil d’Etat ne s’est pas contenté d’une analyse superficielle de la forme donnée à la délibération et à sa désignation comme une communication mais a procédé à une analyse du contenu et de la nature des dispositions édictées par la CRE.

Cela est d’autant plus le cas qu’il appartient à la CRE, conformément à l’article 15 de la loi du 10 février 2000, d’approuver l’ensemble des règles régissant le mécanisme d’ajustement.

–  Concernant la légalité de la délibération du 9 juillet 2009, le Conseil d’Etat a considéré que la CRE a méconnu la portée de l’article 15 de la loi du 10 février 2000.

En effet, la CRE estimait que dans le silence des textes, il lui appartenait d’expliciter l’économie dudit article. Dès lors, selon la CRE, le respect de l’ordre de préséance économique – imposé par l’article 15 – implique un classement des offres d’ajustement en fonction de leur contribution économique au « surplus social » lequel rend nécessaire que soit mis à la charge de l’opérateur des effacements diffus l’obligation de rémunération les fournisseurs dont les clients ont fait l’objet d’effacements temporaires.

La lecture du Conseil d’Etat est toute autre. En effet, la loi du 10 février 2000 ne prévoit nullement le principe selon lequel l’appréciation économique d’une offre d’ajustement puisse porter sur ses effets indirects sur la collectivité dans son ensemble – comme la CRE a tenté de le démontrer – et que, dès lors, il appartient à l’opérateur des effacements diffus de rémunérer les fournisseurs du prix de l’énergie injectée mais non consommée par les clients ayant accepté de tels effacements.

Par conséquent, dans sa décision du 3 mai 2011 (n°331858), le Conseil d’Etat annule la délibération de la CRE, en ce qui concerne la fixation du principe de rémunération à la charge de l’opérateur des effacements diffus.

A cet égard, la décision du Conseil d’Etat vient en écho au rapport d’information sur les autorités administratives indépendantes (Rapport n°2045 fait au nom du Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques) indiquant que « Les entreprises demandent que la loi soit appliquée telle qu’elle est votée par le Parlement, et non telle que l’autorité aimerait qu’elle soit… ».

Il est évident que cette décision n’est pas de nature à faire plaisir à la CRE qui voit une des ses décisions sur un sujet très technique et complexe remise en cause par la Haute juridiction. La décision du Conseil d’Etat n’est pas de nature à faire plaisir également aux fournisseurs qui avaient tout intérêt à ce que le principe de rémunération par l’opérateur des effacements diffus soit maintenu. Certains fournisseurs sont d’ailleurs intervenus dans le cadre du recours via l’Association nationale des opérateurs détaillants en électricité.

Hormis la clarification apportée quant au dispositif des effacements diffus, cette décision est également importante en ce qu’elle peut constituer un signal pour que les autorités de régulation harmonisent la pratique des actes qu’elles adoptent. En effet, pour prendre l’exemple de la CRE, le terme délibération emporte beaucoup d’ambiguïtés quand il est, selon les cas, employé pour indiquer « délibération portant communication », « délibération emportant approbation », « délibération emportant communication », etc.

Afin d’apporter la sécurité juridique nécessaire aux acteurs du marché, trois catégories d’actes doivent pouvoir être adoptés par une autorité de régulation :

–      Les décisions qui peuvent être individuelles ou réglementaires mais qui auront un caractère contraignant ;

–      Les avis, simples ou conformes, lorsque cela est prévu par la loi ;

–      Les communications qui font partie des missions du régulateur et qui visent à informer, vulgariser, expliciter, etc. mais qui ne peuvent pas avoir de caractère contraignant.

La délibération censurée par le Conseil d’Etat en ce qui concerne la fixation du principe de rémunération à la charge de l’opérateur des effacements diffus, s’inscrit clairement dans la première catégorie.

(*) Mounir Meddeb a auparavant travaillé pendant 6 ans à la CRE avant de rejoindre le cabinet d’avocats Ashurst LLP où il a pris en charge le développement de l’activité énergie. Il est docteur en droit et enseignant aux universités d’Aix-en-Provence et de Toulouse I.

Article précédentUn nouveau secrétaire général pour l’association européenne du photovoltaïque (EPIA)
Article suivantSolaire : Le marché français atone, la file d’attente entame une purge violente (Premium)