Captage et stockage du CO2 : Il faut des projets intégrés à l’horizon 2020

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La filière du captage et du stockage du CO2, dite CSC (en anglais : carbon capture and storage – CCS), n’en est qu’à ses débuts, avec plusieurs démonstrateurs en chantier, mais son potentiel est important. Impliqué dans de nombreux projets — dont SiteChar lancé en janvier dernier sur le stockage du CO2 — l’IFP Energies nouvelles est l’un des acteurs clés de ces technologies en France et en Europe. Entre les challenges technologiques, économiques et sociétaux à relever et la nécessité de pousser le marché vers un stade industriel, François Kalaydjian, directeur de la direction des technologies de développement durable à l’IFP Energies nouvelles, analyse le développement de cette filière.

GreenUnivers : Où en sommes-nous sur les technologies de CSC ?

D’un point de vue général, tout se met en place pour faire en sorte que la filière, du captage au stockage en passant par le transport, puisse se déployer à l’horizon 2020. Nous sommes convaincus que ces technologies contribueront de façon importante à baisser les émissions de CO2. Les prévisions de l’Agence internationale de l’énergie montrent que les énergies fossiles (charbon, gaz naturel et pétrole, NDLR) resteront encore prépondérantes en 2035. Le déploiement de la filière CSC est donc indispensable. L’industrie dispose déjà de technologies de premières générations mâtures concernant le captage. Elle maîtrise aussi les technologies de transport, par pipeline, et celles de stockage pour ce qui concerne l’injection par exemple. Démontrées séparément aujourd’hui dans des projets pilotes, il faut désormais vérifier qu’elles peuvent être mises en oeuvre de façon intégrée. C’est l’objectif du développement de démonstrateurs de taille industrielle en Europe dans le cadre du programme NER 300. Cette initiative sera financée grâce aux recettes de la vente de 300 millions de permis d’émissions de CO2 dans le cadre du système européen d’échange de quotas. À raison d’une tonne de CO2 par permis et d’un cours de 15 euros la tonne de CO2 actuellement, c’est une enveloppe potentielle de 4,5 milliards d’euros qui servira à financer, d’une part les démonstrations de CSC, et d’autre part des projets d’énergies renouvelables innovants. Entre six et huit projets de CSC sont attendus, réalisés dans différentes conditions et différentes technologies. L’objectif est de déployer ces projets dès 2015, et d’être capable en retour de s’appuyer sur un panel de solutions à l’horizon 2020.

En France, un démonstrateur intégré est actuellement en service avec le projet de captage et stockage du CO2 de Total dans un ancien gisement de gaz naturel situé dans la région de Lacq (Pyrénées-Atlantiques). L’IFP Energies nouvelles y participe et Total utilise la technologie de captage du CO2 par oxycombustion à laquelle contribue Air Liquide.

GU : Concernant le captage de CO2, plusieurs technologies s’affrontent. Les technologies post-combustion sont les plus mâtures, celles d’oxycombustion et de pré-combustion en sont encore au stade de démonstration. Quels sont les enjeux à relever dans les années à venir ?

Outre les avancées nécessaires en matière de développement, le challenge est de parvenir à réduire les coûts. Le levier est de réduire la pénalité énergétique, pénalité qui provient de la consommation énergétique nécessaire pour réaliser le captage du CO2. Il s’agit donc d’optimiser l’efficacité énergétique des technologies de captage en développant des solutions moins gourmandes en énergie. Sur la post-combustion, l’augmentation de l’efficacité passe notamment par un travail sur une formulation plus efficace des solvants utilisés. Sur l’oxycombustion, l’IFP Energies nouvelles travaille par exemple sur les technologies de boucle chimique, dite CLC (Chemical Looping Combustion), qui offrent beaucoup d’espoir en termes de réduction de la pénalité énergétique. Cela fait aussi partie des enjeux de la seconde génération de technologies de captage, qui arriveront après 2020.

GU : L’injection de CO2 à des fins de récupération additionnelle du pétrole se pratique depuis plusieurs décennies. Le stockage de CO2 s’en inspire. Il y a t-il aujourd’hui des barrières au développement de ce maillon de la filière ?

Cela fait effectivement des décennies que l’industrie pétrolière injecte du CO2 pour récupérer du pétrole. La spécificité du stockage est qu’il questionne le long terme et renvoie aux questions d’acceptation sociétale. L’idée d’injecter du CO2 dans le sous-sol interpelle le public. Il faut cependant lever les malentendus et les ambiguïtés. Il y a de la démystification à faire. Renvoyer le carbone dans le sous-sol, c’est à dire d’où il vient, n’est pas si anti-naturel que cela. Le projet SiteChar mené par l’IFP Energies nouvelles sur la caractérisation des sites de stockage géologique du CO2 est développé dans ce sens (budget de 5 M€ dont 3,7 M€, financés par la Commission européenne, NDRL). Lancé en janvier dernier pour trois ans, SiteChar vise à fournir une boîte à outils pour évaluer les sites potentiels de stockage, à terre comme en mer. Différents types de réservoirs seront étudiés, entre les réservoirs pétroliers et gaziers et les aquifères salins. Ce projet doit permettre de réaliser une fiche générale d’évaluation, répertoriant les obligations nécessaires pour obtenir un permis de stockage, puis d’exploitation. Une fois le stockage complet, il faudra un permis de fermeture.

Avoir une méthodologie pour caractériser les sites de stockage, c’est s’assurer de l’intégrité des réservoirs sur le long terme. Parallèlement à cela, il s’agit de disposer d’un cadre réglementaire approprié. La France y travaille et devrait être prête pour transcrire en droit national, d’ici le 25 juin prochain, la directive européenne sur le stockage, qui doit encadrer les pratiques. Les entreprises opératrices devront donner des garanties, avec des engagements de responsabilité de 30 ans en France. Tout se met en place pour que les opérations de stockage de CO2 puissent se réaliser dans une totale transparence et répondre aux attentes du public.

GU : En France, où se trouvent les sites de stockage potentiels ?

Les régions concernées sont exclusivement les bassins sédimentaires. Il n’y a pas d’autres lieux propices. Deux grandes régions géographiques s’y prêtent. Le bassin sédimentaire de Paris et le bassin aquitain. Un troisième plus petit se situe dans le sud-est. Il s’agira d’identifier dans ces bassins sédimentaires les formations géologiques les plus aptes à pouvoir stocker le CO2. Ces formations géologiques doivent être situées à une profondeur suffisante pour que le CO2 puisse y être stocké sous une forme quasi-liquide, maximisant ainsi la masse de CO2 stocké par unité de volume. Nous ne voulons absolument pas stocker le CO2 sous forme de gaz ! On vise ainsi des profondeurs importantes, d’au moins un kilomètre. De plus, les sites de stockage devront présenter des configurations géologiques garantissant un confinement sûr et pérenne. Ceci sera notamment assuré par la présence d’une roche de couverture épaisse et imperméable, faisant office de couvercle en quelque sorte.

GU : Les enjeux du transport sont-ils aujourd’hui moindre que ceux à surmonter sur le captage et le stockage ?

Le transport reste une étape très importante à maîtriser, notamment à terre. Aujourd’hui, il existe des milliers de kilomètres de pipeline pour le transport de CO2 aux Etats-Unis par exemple. L’industrie maîtrise donc cette technique. En particulier, pour éviter que le CO2 ne soit corrosif, il convient de le transporter sous forme déshydratée. Le véritable enjeu des années à venir est bien de développer des projets CSC totalement intégrés, du captage au stockage, avec le transport comme maillon indispensable.

GU : L’IFP Energies nouvelles est impliqué dans plusieurs projets dans le domaine du CSC, en France et en Europe. Quelles sont vos relations avec les entreprises ?

L’IFP Energies nouvelles est un centre de recherche et d’innovation. Nos programmes de recherche sont conçus pour trouver des applications industrielles. Pour ce qui concerne le captage et le stockage de CO2, nous cherchons tout d’abord à acquérir de la propriété intellectuelle grâce à nos travaux de recherche, puis à valoriser nos travaux, avec des retours attendus principalement à partir de 2015 et surtout à partir de 2020. Sur le projet SiteChar, l’IFP Energies nouvelles coordonne seize partenaires, dont de nombreuses entreprises comme Enel, Veolia Environnement, Vattenfall, Statoil… En 2009, nous avons noué un partenariat cadre avec Enel dans le captage post-combustion du CO2. L’IFP Energies nouvelles pilote également le projet européen Cocate sur le transport de CO2, et participe au projet ANR TACoMA coordonné par GDF Suez sur l’oxycombustion. L’IFP Energies nouvelles a participé en 2007 à la création de la société Geogreen, spécialisée dans le stockage géologique, avec qui il entretient des liens étroits. Les formes de collaborations sont multiples. L’IFP Energies nouvelles accorde une attention toute particulière à s’octroyer une propriété industrielle, pour ensuite envisager différents modèles de valorisation allant du partenariat industriel à l’essaimage. Nous sommes un véritable fournisseur de technologies et d’innovation.

Propos recueillis par Alexandre Simonnet


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