Biocarburants à base d’algues : un potentiel unique, mais des défis technologiques

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Entre effets d’annonce et efforts de R&D, le statut actuel de la filière de production de biocarburant algal est difficile à saisir. L’analyse de Vincent Feuillette, responsable des activités bioénergies au sein du cabinet ENEA Consulting.

Les micro-algues : un intérêt ancien pour d’autres applications

Les applications biocarburant motivent l’intérêt porté aux micro-algues, mais cela n’a pas toujours été le cas. Les premières recherches sur les micro-algues ont commencé dans les années 50, principalement pour répondre à des problématiques nutritionnelles et pharmaceutiques. A cette époque, il s’agissait d’exploiter les composés à haute valeur ajoutée contenus dans ces micro-organismes : protéines, acides gras, colorants et pigments, antioxydants…

Source : FAO, 2010

Le taux de croissance et le contenu en huile élevés des micro-algues par rapport à des cultures traditionnelles  ont motivé la recherche sur la production de carburant algal. Débutés à la fin des années 50 aux États Unis, ces programmes ont pris une ampleur mondiale suite au premier choc pétrolier dans les années 70.

Au cours des années 90, le prix du pétrole relativement bas a conduit à un fort ralentissement de la R&D sur les carburants issus des micro-algues.

Au début des années 2000, la prise de conscience de l’importance de la recherche de carburants alternatifs aux ressources fossiles renouvelle l’intérêt pour les micro-algues. Outre l’argument de la productivité, elles possèdent un avantage potentiel majeur par rapport aux autres solutions : la non concurrence avec les cultures alimentaires.

Encore beaucoup de R&D avant d’atteindre le stade commercial

Malgré de nombreuses annonces très  enthousiastes, la production de biocarburants à partir de micro-algues nécessite encore beaucoup de R&D pour atteindre le stade commercial.

La faisabilité ayant été démontrée pour différentes voies de production de carburant algal, il est maintenant nécessaire de travailler à l’optimisation des souches cultivées et des procédés de culture, de récolte et de préparation dans le but d’assurer la viabilité économique d’une production à grande échelle.

En fonction des conditions particulières des projets et de la qualité du produit final recherchée, les coûts de production actuellement constatés sont compris entre 0,5 et 6 € par tonne de matière sèche, correspondant à des prix de revient généralement supérieurs à 5 €/L pour la production de biodiesel (FAO 2010).

L’émergence future d’installations commerciales de production de biocarburant algal repose encore largement sur la réponse à des défis technologiques. Le premier d’entre eux se rapporte à la sélection et à l’optimisation des souches de micro-algues cultivées. C’est ce choix qui déterminera la plupart des caractéristiques de l’installation de production correspondante (résistance aux contraintes environnementales, productivité, composition des extrants … ).

L’intégration des différentes briques technologiques et le changement d’échelle sont également sources de défis qu’il faudra relever. On peut citer, entre autre, les problématiques liées aux procédés de culture (bassin ouvert, photobioréacteur ou mixte), aux procédés de récolte (séparation, extraction…), à l’optimisation énergétique de la chaine de procédés ou encore au contrôle de l’empreinte eau (boucles de recyclage, contrôle de la température).

Développer les approches de type “bioraffinerie”

Outre ces optimisations biologiques et technologiques qui permettront une réduction significative des coûts, il est nécessaire de développer des approches de type « bioraffinerie », dans le but de valoriser au mieux les intrants et les extrants du procédé de culture.

Schéma d'un procédé intégré de type bioraffinerie - Source : Khan, Rashmi et al. 2009

 

En termes d’intrants par exemple, la culture des algues nécessite une source concentrée de CO2 qui peut être issue des émissions d’un procédé industriel (centrale de production d’énergie, cimentier…). Par ailleurs, de nombreuses souches de micro-algues ont des capacités épuratoires importantes, qui permettent l’utilisation et le traitement d’eaux usées ou saumâtres plutôt que la consommation d’eau potable. La capture du CO2, tout comme le traitement d’effluents représentent donc des sources de revenu complémentaire potentielles à travers la création de synergies industrielles pertinentes.

En ce qui concerne les extrants, la valeur ajoutée très supérieure de certains coproduits (molécules pharmaceutiques, acides gras, antioxydants…) par rapport à celle des huiles utilisées pour produire des hydrocarbures permet en théorie d’améliorer le bilan économique de l’exploitation des micro-algues. En fait, la situation est plus mitigée. S’il est a priori possible de valoriser simultanément les différents composés de la biomasse algale, un problème de compatibilité entre les volumes des marchés de biocarburant et des marchés à haute valeur ajoutée se pose en pratique. Si elle représente une solution à court et moyen terme, la viabilité marchande de la coproduction n’est pas assurée à l’échelle industrielle à long terme.

Ainsi, même si de nombreux obstacles existent encore, des leviers existent pour rendre techniquement et économiquement accessibles la production de biocarburant à partir de micro-algues. Leurs caractéristiques et leur potentiel uniques justifient le soutien actuel aux actions de R&D et aux projets de démonstration qui, seuls, permettront l’émergence de ce marché dans les prochaines décennies.

 

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