La filière solaire au bord de la crise de nerfs

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(Article actualisé le 6 décembre avec nouvelle réaction d’Enerplan)

Les réactions se multiplient dans le secteur photovoltaïque après les décisions annoncées hier par le gouvernement, alors que de nombreuses interrogations demeurent, notamment sur le moratoire de 3 à 4 mois des subventions au solaire. Dans une première réaction, Enerplan voyait plutôt d’un bon oeil la période qui s’ouvre pour la filière avant de s’alarmer sur les effets du moratoire, alors que l’Association Industrie photovoltaïque française (IPF) et l’Association des producteurs de l’électricité solaire indépendants (Apesi) sont immédiatement montées au créneau pour dénoncer une catastrophe industrielle.

Chacun veut être associé à l’avenir du secteur, dans le cadre d’une concertation générale et avec l’objectif de la mise en place d’une gouvernance de la filière. Deux éléments qui font défaut depuis des mois. Si les avis divergent sur le moratoire annoncé par Matignon, l’ensemble des acteurs ne s’oppose pas à une baisse des tarifs d’achat mais milite pour l’instauration d’un cadre réglementaire clair et surtout durable.

Le décret qui fixera les règles du moratoire est en cours de rédaction et devrait être publié, au plus tard, en début de semaine prochaine.

Voici une synthèse des principales réactions.

Enerplan : une réaction en deux temps

Enerplan a d’abord considéré que “le moratoire de 3 mois sur l’octroi du tarif d’achat est une décision sage”. L’association professionnelle – regroupant plus de 200 membres – s’est félicitée, dans un premier communiqué, que le dispositif épargne le marché résidentiel tout en laissant se réaliser les projets de plus grande taille réellement engagés. Elle considérait parallèlement que la période qui s’ouvre va permettre de faire la lumière sur la file d’attente.

Mais un deuxième communiqué a singulièrement durci le ton : à la lumière du projet de décret, Enerplan a estimé que les professionnels étaient “mortifiés et très inquiets”. Et de préciser : “le projet de décret conduirait des projets en cours de construction, voire construits, dont la mise en service ne sera pas faite dans les délais indiqués, à ne pas bénéficier des tarifs pour lesquels ils ont été financés. Si c’était le cas, cela correspondrait à un défaut souverain de la France, soit une remise en cause de la signature du pays.”

IPF : contre le moratoire et pour une véritable négociation

Impulsée mi septembre, l’Industrie photovoltaïque française (*) avait déjà mis la pression sur le gouvernement en septembre dernier, suite à la 2e baisse des tarifs d’achat. “Aujourd’hui l’IPF regroupe une vingtaine d’acteurs cumulant 70 à 75% de la capacité de production française”, affirme Yann Maus, PDG de Fonroche. Il souligne qu’entre 2007 et 2011, la puissance industrielle du pays va être multipliée par dix, passant ses capacités de 70 MW à 700 MW. Soit des centaines de millions d’euros investis dans l’Hexagone.

“Sur toute l’année 2010, aucune consultation n’a été engagée avec les industriels”, s’alarme l’IPF, qui vilipende la gestion en urgence permanente de la filière par les pouvoirs publics, et les décisions prises sans négociation. “La situation est actuellement inimaginable pour un industriel”, poursuit Yann Maus, face à la politique de “stop and go” de l’Etat.

” On ne pourra pas vivre 4 mois dans ce moratoire,” explique le PDG de Fonroche, un industriel employant 300 salariés. Les inquiétudes sont nombreuses face à un possible arrêt du marché, des commandes et des financements qui en découlent. L’association est aussi contre une rétroactivité maquillée, dissimulée derrière la volonté de renvoyer à la case départ tous les projets n’ayant pas payés la PTF (proposition technique et financière) auprès d’ErDF, dans la démarche de raccordement au réseau.

L’IPF va présenter dans les prochaines semaines un plan de développement pour son industrie, avec une vision de long terme.

Apesi : un impact grave pour les PME

L’association des producteurs d’électricité solaire indépendants (Apesi) est également très remontée : “nous sommes totalement déconcertés, pour ne pas dire choqués par ce moratoire de quatre mois qui est totalement déconnecté des réalités du terrain”, s’insurge David Guinard, membre du bureau et par ailleurs directeur général de Photosol. “Ce sont deux ans de travail qui sont remis en cause et des investissements énormes. Cela veut dire un chiffre d’affaires annulé ou, au mieux, reporté de plusieurs mois. Dans des PME comme les nôtres, ce gel n’est pas tenable et risque d’entraîner des licenciements et des faillites très rapidement”.

L’Apesi est en revanche satisfaite de l’ouverture d’une concertation avec l’ensemble des acteurs. Mais elle reste méfiante : “il ne faudrait pas que ce soit une concertation de façade comme pendant la préparation du rapport Charpin”, s’inquiète David Guinard.

L’Apesi réitère ses propositions : elle est favorable à une baisse régulière des tarifs d’achat, par exemple chaque trimestre, mais s’oppose à la perspective des quotas et des appels d’offre sur les centrales au sol. “Les appels d’offre ne sont pas adaptés à une industrie comme le solaire où tout va très vite. On le voit bien d’ailleurs avec l’abandon en catimini par l’Etat de l’appel d’offres pour l’installation d’une centrale solaire par région“, reprend David Guinard.

SER : une décision absurde

Une première réaction était plutôt mesurée : Si on veut qu’il y ait des investissements industriels, il faut un système pérenne dans lequel tous les acteurs aient confiance”, a indiqué jeudi à l’AFP  le président du Syndicat des énergies renouvelables, André Antolini, juste après la réunion de Matignon. Mais le ton est ensuite monté d’un cran : “Une activité mise entre parenthèse pendant 4 mois, c’est insupportable “, a repris, vendredi, André Antolini. “Le premier critère pour mettre en place une industrie, c’est la stabilité. On ne peut pas changer d’avis tous les trois mois. C’est un gag ! Un triste gag ! “, a renchéri Arnaud Mine, président du groupement des professionnels du solaire photovoltaïque (Soler).

Le SER-Soler a par ailleurs présenté ce matin ses propositions : il souhaite “une transparence totale sur la file d’attente” des demandes de raccordement, objet de polémique depuis de longs mois, avec une publication régulière de son état (par exemple, hebdomadaire). Il demande aussi la mise en place “d’un système de gestion des volumes reposant sur une maîtrise d’une enveloppe CSPE”.

CLER et Hespul : inquiétude sur un coup d’arrêt aux investissements

Les associations CLER (Comité de liaison des énergies renouvelables) et Hespul viennent également de manifester leur inquiétude : “le Gouvernement opère un choix contradictoire avec ses objectifs. Il prend surtout le risque réel de tuer dans l’œuf une filière en plein développement et plus encore de mettre la France définitivement hors course”, estiment-elles dans un communiqué commun.

Elles redoutent notamment que “l’instabilité chronique du dispositif de soutien” décourage les majors mondiaux à construire des usines en France et freine le développement d’une industrie solaire française.

Méfiantes, elles souhaitent par ailleurs que les quatre mois de suspension du tarif “soient l’occasion d’une réelle concertation ouverte et non la validation de mesures déjà prises”.

Pour aller plus loin sur le projet de décret :

Solaire plus de questions que de réponses

Solaire photovoltaïque : le projet de décret

Solaire : décryptage du projet de décret. Un moratoire ou une pause ?

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* Les membres de l’association : Auversun, ECM Technologies, Emix, Fonroche Energie, Francewatts, KDG Energy, Mecosun, MPO Energy, Photowatt, SEMCO Engineering / Irysolar, Sillia Energie, SNA Solar, Solairedirect, Solarezo, Solbos/Solar Construct, Soprema, Systovi, Voltec Solar.

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