L’éolien a-t-il encore le vent en poupe ?

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L’adoption de plusieurs amendements durcissant la législation sur l’éolien par la Commission des Affaires économiques dans le cadre de l’examen du projet de loi Grenelle 2 risque de freiner le développement de cette énergie renouvelable. L’analyse d’Hervé Cassara, avocat au cabinet Huglo-Lepage & Associés.

Alors que la France s’est engagée à développer les énergies renouvelables pour atteindre 23 % du mix énergétique global à l’horizon 2020 dans la Loi Grenelle 1 du 3 août 2009, il semble bien qu’un mauvais vent souffle actuellement sur l’éolien.

Pour preuve, les discussions actuellement en cours à l’Assemblée nationale sur le projet de loi Grenelle 2, qui s’inscrivent dans un climat de scepticisme généralisé à l’encontre des enjeux environnementaux depuis le (semi) échec du Sommet de Copenhague.

La Commission des Affaires économiques de l’Assemblée Nationale a ainsi examiné les 30 et 31 mars derniers les articles 34 et 34 bis du projet de loi Grenelle 2.

Des amendements « éolicides » ?

A cette occasion, plusieurs amendements, que d’aucuns jugent « éolicides », ont été adoptés, et notamment :

  • L’obligation de respecter une distance minimale de 500 mètres par rapport aux habitations pour l’implantation des aérogénérateurs ;
  • La fixation d’un double seuil minimal de 15 MW et de 5 mâts pour déposer des demandes de permis de construire et d’autorisation d’exploiter ;
  • La création de schémas régionaux de l’éolien, ayant une force juridique importante, puisqu’à défaut de schéma d’ici le 31 décembre 2011, aucune zone de développement de l’éolien (ZDE) ne pourra plus être créée ;
  • La soumission des éoliennes dont la hauteur de mât dépasse 50 mètres à la législation relative aux installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), sous le régime de l’autorisation, avec deux dispositions corollaires, tendant à obliger les exploitants à constituer des garanties financières, et à envisager la remise en état par eux-mêmes, ou, à défaut, par leur société mère.

Certes, le pire semble avoir été évité, avec le rejet de certains amendements tendant à interdire purement et simplement l’implantation d’éoliennes dans des zones sanctuarisées extrêmement étendues (institution d’un périmètre de 10 kms autour de nombreuses zones (Natura 2000, trames vertes / trames bleues, sites inscrits et classés, monuments historiques, PNR et parcs nationaux, rivage de la mer, etc.). Pour autant, les inquiétudes demeurent.

Si on s’attache à examiner successivement ces quatre amendements, il faut tout d’abord constater que le premier ne tend qu’à codifier peu ou prou la jurisprudence relativement établie des juridictions administratives sur le fondement des dispositions de l’article R. 111-2 du Code de l’Urbanisme, tant en termes de sécurité publique (risque de chute et de projection de pales : CAA Lyon, 5 avril 2005, Association pour la préservation des paysages exceptionnels du Mezenc et autres, n° 04LY00431, confirmé par CE, 6 novembre 2006, Association pour la préservation des paysages exceptionnels du Mezenc et autres, n°281072, Rec. T. p. 1104 ; CAA Nantes, 28 mars 2007, Commune d’Amaye-sur-Seulles et Association « pré-bocage environnement », n° 06NT00674 et n° 06NT00677 ; CE, 27 juillet 2009, Société Boralex avignonet SAS, n°317060) que de salubrité publique (Bruit : CE, 15 avril 2005, Association des citoyens et contribuables de la communauté de communes Saane-et-Vienne (acsv) et autres, n° 273398 ; CAA Nantes, 23 juin 2009, Association cadre de vie et environnement Melgven-Rosporden et autres, n° 08NT02986, n° 08NT03078).

Cet amendement n’est donc pas plus « éolicide » que la jurisprudence actuelle, et n’empêchera d’ailleurs nullement le juge administratif d’aller au-delà de ce périmètre en cas de circonstances locales particulières, notamment du point de vue topographique, de la localisation ou en raison des caractéristiques des éoliennes, comme il le fait aujourd’hui (CE, 27 juillet 2009, Société Boralex avignonet SAS, n°317060).

Il n’en va cependant pas de même des trois amendements suivants.

La mort du petit éolien

Tout d’abord, le deuxième amendement n’a pour autre effet, si ce n’est pour objet, de condamner purement et simplement le petit éolien à la peine capitale.

Cette mort annoncée est extrêmement regrettable pour le développement d’un réseau de TPE-PME dans le domaine des énergies renouvelables.

En outre, cette orientation ne se justifie aucunement du point de vue juridique, le prétexte pris du soit-disant « mitage » de l’espace que cela pourrait créer n’étant pas, en soi, un motif juridique valable.

Le troisième amendement est plus contestable sur la forme que sur le fond : sous ce dernier angle, il s’agit en effet d’une demande compréhensible d’une certaine planification d’ensemble, permettant une meilleure organisation spatiale.

Mais il s’agit également d’un schéma de plus qui s’insérera tant bien que mal dans le mille-feuilles juridique que les praticiens du droit de l’urbanisme et de l’environnement ne connaissent que trop bien.

Quelle sera précisément la valeur juridique de ce schéma ? Quel rapport existera-t-il entre les autorisations de construire et d’exploiter d’une part, et ce schéma, d’autre part ? S’agira-t-il d’un rapport de conformité, de compatibilité, ou de simple prise en considération ? Voilà qui promet bien des discussions devant les tribunaux compétents.

Soumission à la législation ICPE : une mesure inutile

Last but not least, le fameux amendement proposant la soumission des éoliennes de grande hauteur à la législation ICPE.

Tel un serpent de mer, cette proposition sans cesse évoquée puis repoussée devrait donc voir le jour si le projet de loi Grenelle 2 est adopté en l’état.

Il s’agit sans conteste du plus « éolicide » de tous les amendements retenus par la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, puisque tous les praticiens du droit de l’environnement savent que la constitution d’un dossier de demande d’autorisation d’exploiter, de surcroît assorti d’obligations de constitution de garanties financières, est plus ardue que ne l’est la constitution d’un dossier de demande de permis de construire.

Relevons d’ailleurs que ce dernier devra toujours être déposé, puisque le sacro-saint – mais néanmoins totalement contestable – principe d’indépendance des législations contraindra le pétitionnaire à obtenir les deux autorisations – sans compter les autorisations et déclarations nécessaires au titre du droit de l’électricité.

Mais c’est surtout à notre sens une disposition parfaitement inutile.

En effet, les éoliennes de grande hauteur sont déjà soumises à l’obligation d’établir une étude d’impact (analysant les atteintes au paysage et à l’environnement, les risques pour la sécurité, les nuisances sonores, etc.), laquelle doit être insérée dans le dossier de demande de permis de construire.

De surcroît, sur le fond, s’il est vrai que le contrôle du juge administratif sera plus étendu dans le cadre d’un litige portant sur l’autorisation d’exploiter, puisque qu’il s’agit d’un litige de plein contentieux, en application de l’article L. 514-6 du Code de l’environnement, il n’en reste pas moins que la plasticité du règlement national d’urbanisme (article R. 111-1 et suivants du Code de l’Urbanisme), couplée au caractère non moins plastique de l’erreur manifeste d’appréciation, rend, dans les faits, la protection des intérêts visés à l’article L. 511-1 du Code de l’environnement déjà effective.

En d’autres termes, il est loin d’être certain que la protection de l’environnement sorte renforcée de l’adoption de cette mesure, puisque la jurisprudence actuelle rendue dans le cadre des litiges portant sur les permis de construire rend cette garantie globalement opérante.

Quant au Préfet, qui statuera à la fois sur la demande de permis de construire, et sur celle d’autorisation d’exploiter, on voit mal qu’il ait une appréciation différente sur le fond des deux demandes.

Il y aura donc, en tout point, une redondance manifeste.

Enfin, on ne peut que déplorer l’augmentation considérable de l’insécurité des projets éoliens, et partant de la difficulté à les financer, du fait de l’allongement des délais de recours contentieux pour les tiers, puisque ce délai est de 4 ans dans le cas général, réduit à 6 mois dans certains cas particuliers, contre les autorisations d’exploiter (art. L. 514-6 du Code de l’environnement), alors qu’il n’est que de deux mois à compter de l’affichage sur le terrain pour les permis de construire.

La confirmation d’une tendance de fond

Cette tendance actuelle d’entrave au développement de l’éolien en France, plus accrue encore ces derniers jours, ne constitue, en réalité, que la confirmation et l’amplification de ce que le praticien du droit peut constater au quotidien sur le terrain judiciaire.

On ne compte plus, en effet, depuis plusieurs mois, voire plusieurs années maintenant, les refus de permis de construire des parcs éoliens, qu’ils soient d’ailleurs de grandes ou de plus modestes dimensions.

Les Préfets n’ont ainsi de cesse de jouer de l’élasticité des dispositions des articles R. 111-2 (sécurité) et R. 111-21 (atteinte aux paysages et à l’intérêt des lieux) du Code de l’Urbanisme, et plus rarement des articles R. 111-5 (accès) et R. 111-15 (environnement).

Rappelons d’ailleurs, puisque l’occasion en est donnée, que ce dernier article ne permet pas de refuser un permis de construire, mais simplement de l’assortir de prescriptions spéciales (CE, 7 février 2003, Société civile d’exploitation agricole Le Haras d’Achères, n° 220215 ; CAA Lyon, 6 juin 2000, Commune de Hyères-les-Palmiers, n° 95LY00062), contrairement à la position adoptée par certains Préfets.

La France à la traîne ?

Pour finir, soulignons que la tendance actuelle française prend le contre-pied de la tendance européenne et mondiale, puisque Bloomberg New Energy Finance vient d’annoncer une hausse attendue de la production d’électricité d’origine éolienne dans le monde de 25 % pour cette année.

La France risque donc – une fois encore – d’être au ban des nations qui n’auront pas su profiter du vent dominant, et accessoirement tenir leurs engagements, décidant de changer de cap au moment où on attend à l’horizon 2020 une multiplication par 6 du nombre d’emplois du secteur de l’éolien en France, qui compte déjà 10.000 emplois à l’heure actuelle, selon les professionnels du secteur.

Il n’est cependant pas trop tard pour inverser la tendance puisque la loi Grenelle 2 n’est pas encore définitivement adoptée. C’est ce que l’ont peut en tout cas souhaiter de mieux en cette semaine du Développement durable.

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