Grenelle II : le Code de l’Urbanisme va-t-il pénaliser les énergies renouvelables ?

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herve cassaraL’objectif du projet de loi « Grenelle II » de favoriser les énergies renouvelables grâce à une nouvelle disposition législative contraignante pour les communes risque d’être rendu inopérant, selon l’analyse d’Hervé Cassara, avocat au cabinet Huglo Lepage et Associés et Chargé d’enseignement à l’Université Paris XI Jean Monnet.

” Dans le projet de loi portant engagement national pour l’environnement, communément appelé « Grenelle II », déposé par Jean-Louis Borloo sur le bureau du Sénat le 12 janvier 2009, une disposition a été mise en avant : l’insertion dans le Code de l’Urbanisme d’un nouvel article (L. 111-6-2) destiné à empêcher les communes de s’opposer à l’installation de systèmes de production individuels d’énergie renouvelable, à l’utilisation de matériaux renouvelables, et à la mise en place de toitures végétalisées.

Dès lors, si le maire pourra assortir sa décision de prescriptions spéciales destinées à assurer la bonne intégration architecturale du projet, il ne pourra cependant pas refuser un permis de construire, un permis d’aménager, ou s’opposer à une déclaration préalable pour ce motif, et ce, « nonobstant toute disposition d’urbanisme contraire ».

Cette dernière incise a pour objectif de neutraliser les dispositions de nombreux plans locaux d’urbanisme (PLU) qui interdisent la mise en place de toitures végétalisées, l’utilisation de matériaux de construction renouvelables, en particulier le bois, ou encore l’implantation de dispositifs domestiques de production d’énergie renouvelable.

L’exception qui ne confirme pas la règle

Cependant, une des deux exceptions à ce principe très volontariste risque fort de rendre ce dispositif législatif parfaitement inopérant.

Si la première, qui prévoit que cette disposition ne serait pas applicable dans un certain nombre de zones de protection (secteur sauvegardé, périmètre de protection d’un monument historique, site inscrit ou classé au titre de la loi du 2 mai 1930, ZPPAUP, cœur d’un parc national), ne peut qu’être approuvée, il n’en va pas de même de la seconde, très largement contestable.

Le projet de loi, confirmé par le Sénat sur ce point, prévoit en effet que les communes, ou l’EPCI compétent en matière de PLU, peuvent délimiter un « périmètre » dans lequel le principe ne sera pas applicable.

Le périmètre en question n’est cependant ni défini, ni véritablement encadré, de sorte que les communes pourront à leur guise rendre ce qui devrait être la règle totalement inopérant.

Des conditions de forme et de fond indulgentes

Ni les deux conditions de forme, ni la condition de fond, prévues par le texte dans sa version actuelle, ne devraient rendre difficile l’institution de ces périmètres.

Il est en effet à craindre que les deux conditions de forme ne soient guère des obstacles pour les communes qui souhaiteraient s’opposer au développement des énergies renouvelables sur leur territoire, car tant la nécessité de recueillir l’avis de l’Architecte de Bâtiments de France – qui n’est qu’un avis simple – que la mise à disposition du public du projet de délibération du conseil municipal pour recueillir ses observations – lesquelles resteront lettre morte puisque cette procédure, issue du droit communautaire, n’a rien d’une enquête publique – ne constitueront de véritables freins.

Et ce n’est pas non plus le fait que la délimitation de ce périmètre devra être « motivée par la protection du patrimoine bâti ou non bâti, des paysages ou des perspectives monumentales », qui pourra véritablement retenir certaines communes dans leur volonté d’entraver le développement des énergies renouvelables et l’utilisation de matériaux renouvelables sur leur territoire, tant cette condition de fond est imprécise.

Un abondant contentieux en perspective

En toute hypothèse, cette condition de fond sera, à n’en pas douter, à l’origine d’un abondant contentieux.

Sur ce point, l’étendue du contrôle du Juge risque d’être déterminant.

Pour tenter de déterminer ce qu’il pourrait être, le parallèle peut être fait avec les dispositions de l’article R. 111-21 du Code de l’Urbanisme, dont les termes sont similaires à ceux retenus par le projet de loi.

Or, le contrôle du Juge administratif est double sur ces dispositions : lorsque qu’il est saisi d’un refus de permis de construire fondé sur l’article R. 111-21, le Juge opère un contrôle normal (CE, 25 janvier 1974, Dame Rouquette, Rec. p. 1214), alors qu’il n’opère qu’un contrôle restreint à l’erreur manifeste d’appréciation lorsqu’il doit examiner la légalité d’un permis de construire (CE, 4 octobre 1974, Min. Equipement c/ Cts Metras, Rec. p. 467).

S’il adopte le contrôle normal, le Juge pourrait alors être amené à examiner si la commune ou l’EPCI a fait une exacte application de cette condition de fond, et sanctionner, le cas échéant, une erreur de fait, une erreur de droit, ou une erreur de qualification juridique des faits.

En revanche, si le Juge administratif décidait de limiter son contrôle en ne sanctionnant que l’erreur manifeste d’appréciation qu’aurait pu commettre la commune, il y a fort à parier que très rares seront les annulations de délibérations fixant un périmètre dans lequel la commune pourra s’opposer à l’installation de système d’énergie renouvelables, de matériaux renouvelables et de toitures végétalisées.

Le grand perdant serait bien évidemment l’intérêt public que constitue la lutte contre le changement climatique, au profit de la sanctuarisation de tout ou partie d’un territoire communal.

Reste à espérer que les députés, qui s’attèlent à l’examen du texte depuis le 9 octobre, auront à cœur de supprimer cette seconde exception, qui pourrait être utilisée à mauvais escient par certains.”

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