La Nature va-t-elle faire son entrée dans l’économie ?

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photo-agLes entreprises devront peut-être bientôt se pencher sur la préservation de la biodiversité. Un rapport, présenté aux pouvoirs publics le 28 avril, propose pour la première fois une approche économique de la biodiversité. L’analyse d’Arnaud Gossement, avocat associé en droit de l’environnement au Cabinet Huglo-Lepage & Associés. Docteur en droit, il enseigne cette discipline à l’Université Paris I et à Sciences Po Paris et tient une chronique juridique de l’actualité environnementale dans l’émission « Green Business » sur BFM radio.

“C’est une petite révolution dans la représentation et la défense du monde du vivant. Un rapport de Bernard Chevassus-au-Louis, Inspecteur général de l’Agriculture et ancien Président du Muséum d’Histoire Naturelle, opère ce que les économistes n’avaient jusqu’à peu jamais voulu faire : tenir compte des ressources naturelles. Ce document intitulé « Approche économique de la biodiversité et des services liés aux écosystèmes : contribution à la décision publique » vient d’être présenté devant pas moins de trois ministres – Jean-Louis Borloo, Nathalie Kosciusko-Morizet et Chantal Jouanno.

Evaluer le coût de la biodiversité

Cette étude avait été commandée par le Premier ministre au lendemain du Grenelle de l’environnement. Dans son discours de clôture prononcé le 25 octobre 2007, devant Al Gore, José-Manuel Barroso, Nicolas Hulot et tous les acteurs du Grenelle, le Président de la République s’était en effet engagé « à ce que toutes les décisions publiques soient arbitrées dans le futur en intégrant leur coût pour la biodiversité ». Donner des éléments de compréhension de ce que représente le « coût pour la biodiversité, c’est la mission confiée à un groupe de travail hébergé par le Centre d’analyse stratégique qui, pendant un an, sous la direction de M. Chevassus-au-Louis a réfléchi aux enjeux et conditions de cette approche économique.

Les travaux de ce Groupe de travail ne sont pas isolés mais s’inscrivent dans un contexte mondial où plusieurs équipes de recherches se sont attachées à ce sujet. Ainsi, en 2005, 1360 experts de 95 pays avaient contribué, dans le cadre du Millennium Ecosystem Assessment (MEA) à la rédaction d’un rapport dont la typologie des services éco systémiques a été reprise par M Chevassus-au-Louis. De même, Pavan Sukhdev, banquier et économiste indien, travaille pour la Commission européenne, à l’évaluation du coût global pour la société, de la dégradation de la biodiversité dans le cadre du processus « TEEB » (« The Economics of Ecosystem and Biodiversity »). Rappelons en effet que l’effondrement de la biodiversité est une réalité et doit être enrayée en 2010.

L’économie : l’une des approches du vivant

Le rapport de M Chevassus-au-Louis est remarquable, non seulement par la somme de connaissances mises à la disposition du public mais aussi par sa prudence. L’approche économique n’est pas présentée comme la seule possible mais comme devant s’articuler avec l’éthique, le droit, la science. La tâche était en effet complexe et le simple exercice de définition des termes du sujet le prouve : les notions de « coût » et de « biodiversité » sont susceptibles de recevoir un très grand nombre d’acceptions. Il faut souligner que la biodiversité n’est pas uniquement constituée des espèces animales et végétales qui nous entourent. Elle renvoie également à toutes les interactions multiples, variées et différentes d’un territoire à l’autre, entre ces espèces. De plus, seule une petite partie de la biodiversité – qui comprend aussi des micro-organismes – est connue par l’Homme.

De fait, le rapport est fondé sur des hypothèses qui ont le mérité d’être présentées comme telles. Partant, les auteurs ont cherché à établir non pas des valeurs de référence, mais les conditions d’élaboration des valeurs de référence des services éco-systémiques afférents à la biodiversité ordinaire par opposition à la biodiversité remarquable, constituée notamment des espèces protégées.

Cette approche par valeurs de référence n’est pas la seule à retenir l’attention. Ainsi, ce dernier point : les résultats négatifs d’aides, de subventions, de politiques fiscales qui, pensées pour le court terme, alimentent une économie de destruction.

Prévenir l’apparition d’un droit à détruire : l’enjeu de la compensation

Le rapport aborde le sujet – explosif – de la compensation de la biodiversité. De quoi s’agit-il ? A la suite des Etats-Unis qui ont déjà mis en place le système des « mitigation banking », la Caisse des dépôts et consignations a mis en place une filiale « CDC biodiversité » dont l’objet est de poser les bases d’un mécanisme de compensation de la biodiversité lors du montage, par exemple, de grands projets d’infrastructures. Rappelons que le terme « compensation » est connu des jurites depuis la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature.

De nouvelles obligations pour les entreprises ?

Tout cela peut apparaître bien théorique et éloigné des préoccupation des opérateurs économiques. Erreur. Il est certain que si les entreprises font preuve d’une attention croissante à la problématique du dérèglement climatique et des émissions de gaz à effet de serre, elles ne peuvent se dispenser de suivre ces réflexions sur l’économie de la biodiversité. Demain, à côté du bilan carbone figurera sans doute l’obligation d’avoir à réaliser un bilan biodiversité. De nouveaux indicateurs du développement durable axés sur la biodiversité seront sans doute créés. Le volet biodiversité des études d’impact sera sans doute enrichi à mesure que des trames vertes et bleues assureront le maillage écologique du territoire…

Quelques chiffres en conclusion : le rapport de M Chevassus-au-Louis note ainsi que les « subventions pernicieuses qui portent atteinte à la biodiversité dans le monde estimées à 200 milliards de dollars/an, seraient jusqu’à dix fois supérieures au montant consacré aux dépenses pour la protection de la nature ». De même, le rapport indique que la perte des services écologiques pourrait représenter « jusqu’à 7% du PIB mondial en 2050, ou encore 13 938 millions d’euro par an ». Tout ceci rend compte de l’urgence d’avancer sur ce sujet.”

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