Acheter des crédits carbone ? Oui, mais lesquels ?

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Une enquête auprès d’une soixantaine de grandes entreprises de tous secteurs, réalisée par le fournisseur britannique de crédits carbone EcoSecurities et le site américain ClimateBiz, permet de mieux comprendre la stratégie des entreprises pour réduire leurs émissions de CO2, en particulier pour l’achat des certificats de “compensation carbone”, appelés aussi “crédits carbone” (“carbon offsets” en anglais), un secteur en plein développement. (Deux définitions très claires des crédits carbone à lire ici et ici.)

Ces achats volontaires — à ne pas confondre avec les certificats obligatoires prévus par le Protocole de Kyoto — sont de plus en plus répandus dans les entreprises, pour toutes sortes de raisons : pression des actionnaires, des clients ou de l’opinion publique, préparation à un système de taxation des émissions qui pourrait devenir obligatoire, etc.

Côté actions internes, les 65 grandes entreprises, surtout américaines, qui ont répondu à ce sondage en ligne indiquent que leur principale mesure a été d’économiser l’énergie (34% des réponses). Viennent ensuite les campagnes après du personnel pour une modification des comportements (25%), l’amélioration de la logistique (22%) et le recyclage (17%). Le recours aux énergies renouvelables restent rares (8,7% des réponses). A noter que les décisions sur l’environnement sont pour la majorité prises au plus haut niveau de la hiérarchie.

Surtout, l’écrasante majorité des sondés (88%) a déjà recouru ou compte recourir à l’achat de crédits carbone, contre seulement 4% qui disent rejeter cette option: 31% le font déjà et 25% comptent le faire dans un ou deux ans (voir graphique ci-dessus).

Ces certificats de compensation sont proposés par des organisations qui réalisent des actions de lutte contre les gaz à effet de serre, en évitant les émissions ou en les réduisant : plantation d’arbres, capture du carbone, économies d’énergie, petots projets hydroliques, etc. L’efficacité de ces actions est parfois critiquée, mais ces certificats permettent aux entreprises de s’acquitter rapidement, facilement, sans besoin de grandes réorganisations coûteuses, de leur objectif d’améliorer leur empreinte carbone.

Les crédits carbone les plus connus, les CER (certified emission reduction), sont certifiés dans le cadre du protocole de Kyoto et délivrés par les Nations Unies (pour en savoir plus, voir le site de l’Ademe ici). Les échanges de CER commencent aussi à se développer sur les Bourses de l’environnement, comme BlueNext, où interviennent de plus en plus des acteurs financiers qui parient sur leur forte hausse à l’avenir, comme le prédisent des analystes.

Preuve du succès des crédits carbone, leur marché a triplé  en 2007, selon un bilan du site spécialisé New Energy Finance et de Ecosystem Market, réalisé en mai dernier (à télécharger ici) : les échanges ont porté sur 65 millions de tonnes de crédits carbone en 2007, en hausse de 165% sur 2006, avec une valeur accrue de 200%  à 331 millions de dollars. A noter que les organismes américains de défense de l’environnement Forum for the Future et Clean Cool Air Planet ont estimé dans un rapport en juin 2008 que ces actions de compensation apportaient un bénéfice réel (rapport ici).

Selon l’enquête d’EcoSecurities, les 10 fournisseurs de crédits carbone les plus cités sont, dans l’ordre, EcoSecurities, The Carbon Neutral Company, Climate Care, Cantore Co2e, Terrapass, Green moutain Energy, Camco International, Carbon Clear, First Climate et My Climate. La plupart des sondés utilisent plusieurs fournisseurs. Généralement les entreprises privilégient les projets de réduction d’émissions réalisés localement, dans leur propre région.

Les types d’actions les plus appréciées pour les crédits carbone sont, de très loin, les économies d’énergie, probablement parce que leur impact contre les émissions semble le plus directement mesurable. Juste après également très appréciés, viennent les projets de parcs d’éoliennes, qui calculent leur impact en émissions évitées par rapport à des énergies fossiles. En 3ème viennent les projets de centrales à biomasse, suivies des systèmes de capture du méthane agricole. La plantation d’arbres suscite des réticences, la lutte contre la déforestation est mieux perçue. L’hydroélectricité n’est souhaitée que pour les projets à petite échelle.

Aux Etats-Unis, les normes de mesures les plus consensuelles sont le Volontary Carbon Standard et le Gold Standard. Les entreprises choisissent les crédits carbone d’abord en fonction de la réputation du fournisseur, du type de projets engagées et de leur localisation géographiques, le prix ne venant qu’en 5ème critère de choix.

Elément surprenant, 23% des entreprises sondées ont dit vouloir développer leur propres projets de compensation carbone ou le font déjà.

Interrogées sur les prix estimés justes, seulement 24 entreprises ont répondu, signe de la difficulté de fixer un prix à ces services émergents. Les projets jugés mériter les prix les plus élevés sont les actions d’économies d’énergies (13,10 euros par tonne selon les sondés) et les énergies renouvelables notamment l’éolien (12,60 euros par tonne) et la biomasse (11,90 euros par tonne) ainsi que les projets locaux à petite échelle. En revanche, la plantation d’arbres n’est évaluée qu’à moins de 8 euros par tonne.

Concrètement les prix proposés par les dizaines d’entreprises dans le monde qui se sont mises à commercialiser ces certificats varient du simple au quadruple. En France, les fournisseurs ayant signé la Charte de l’ADEME, qui propose une méthodologie harmonisant les systèmes de mesure, sont l‘association CO2 Solidaire lancée par le Geres (Groupe énergies renouvelables, environnement et solidarités) et qui propose de financer des projets dans des pays du Sud (Cambodge, Maroc, Afghanistan, Inde) dont elle est elle-même l’initiatrice, l’association  Action carbone créée par le photographe Yann Arthus-Bertrand (Good Planet) et dont les projets concernent la capture de CO2 par la végétation (projet de reforestation, lutte contre la déforestation…) ou les énergies renouvelables dans les pays du Sud, l’entreprise Climat Mundi  qui vend des crédits carbone sous forme de chèques cadeau, et soutient des projets dans  les énergies renouvelables (petite hydraulique en Chine et au Mexique) et la lutte contre la désertification (Erythrée), et l’entreprise EcoAct engagée dans des projets de reforestation en Amérique du Sud ou de construction de chambres froides au Burkina Faso.

L’intégralité de l’étude d’EcoSecurities est disponible ici (en anglais).

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