Le carbone bientôt à 100 dollars la tonne, et tout va changer

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“Les émetteurs de CO2 vont devoir dire adieu à la gratuité”, avertit Kevin Parker, directeur général de Deutsche Asset Management, qui pronostique une montée en flèche du prix du carbone échangé au sein du système d’échange européen de quotas d’émissions (European Union Emissions Trading Scheme).

Tout le monde est focalisé sur la hausse des prix des matières premières, mais le carbone reste à l’écart. Le prix des quotas de carbone (European unit allowances, ou EUA) n’a augmenté que modestement cette année à environ 27 euros la tonne. Mais la pression du marché devrait le faire atteindre 100 euros la tonne, voire davantage.

Les EUA permettent aux entreprises d’émettre un montant de carbone déterminé. Ces permis d’émissions peuvent être échangés, ce qui permet aux entreprises en dépassement de racheter les quotas d’autres qui diminuent leurs émissions. Mais le niveau entre l’offre et la demande est complètement déséquilibré. Ce qui peut entraîner une réévaluation radicale du prix du carbone qui changera définitivement le contexte politique, économique et financier.

L’étonnante vérité sur le marché des permis d’émissions de carbone est que tout le monde ou presque en manque : les entreprises dépassant leurs quotas n’auront pas de quotas à racheter pour compenser la différence.  Quand je demande aux acteurs du marché : “qui a des surplus de quotas à vendre ? ”, je n’

obtiens en retour que des regards vides. Il ne passera guère de temps avant que le marché prenne acte de ce déséquilibre fondamental entre l’offre et la demande.

Le marché du carbone, outre qu’il apporte des compensations aux dépassements de quotas, devrait aussi encourager les entreprises à se détourner des industries très polluantes à base d’énergies fossiles, comme le charbon, pour choisir des techniques moins polluantes, comme le gaz naturel et les énergies renouvelables. Le prix du charbon devrait se corréler à ceux du pétrole et du gaz, en pleine ascension. Un récent rapport de mon collègue Mark Lewis de la Deutsche Bank a estimé qu’en alignant le prix du carbone sur ceux d’un baril de pétrole à 85 dollars et du charbon à 90 dollars la tonne, le carbone devrait être à 40 dollars la tonne.

Mais avec un baril actuellement autour de 135 dollars et le charbon à 200 dollars, le prix de marché pour le carbone serait de 75 à 80 dollars la tonne — trois fois son niveau de cotation actuel.

Le marché sanctionne les faibles : ceux qui se trouveront à court de quotas seront étranglés par le manque d’offre, et la montée du prix du carbone à 100 dollars la tonne au moins semble inévitable.

Autre élément poussant à une hausse des cours du carbone, la prochaine entrée en vigueur de la phase II du système d’échange européen, qui deviendra contraignant : les entreprises dépassant leurs quotas devront racheter des permis d’émissions pour les ramener au niveau précédent. L’Union européenne a raison de penser que l’application obligatoire de ce marché est essentielle pour que les industriels prennent cette politique du carbone au sérieux. Cependant, un possible effet à court terme sera une bousculade des demandes, qui va encore accroître la pression sur les prix du carbone.

L’effet de la réévaluation du prix du carbone sera profond. Le carbone va prendre sa place aux côtés du pétrole, du charbon et du gaz comme l’une des matières premières les plus surveillées du monde. Cela va marquer enfin le début de la prise en compte des externalités dans les coûts de production.  Cela marquera aussi la fin de la gratuité pour les émetteurs de CO2. Les gouvernements, en particulier celui des Etats-Unis, devront rejoindre l’Europe pour créer un marché global du carbone, et les entreprises du monde entier devront accepter le prix du marché.

Un prix du carbone plus élevé forcera les entreprises à changer radicalement leur modèle économique (ce qui a déjà commencé parmi les grands groupes de services publics européens). Celles qui démarreront les premières seront gagnantes. Les directions des entreprises et leurs conseils d’administration seront économiquement obligés de tenir compte du prix du carbone dans leurs modèles et leurs plans stratégiques.

Cet ajustement va aussi entraîner une meilleure répartition du capital. Des décisions de fonds commencent à être prises aux Etats-Unis, où des projets basés sur le charbon ont été abandonnés en raison du futur coût des émissions. Les banques américaines Citibank, JPMorgan, Morgan Stanley et Bank of America ont signé cette année une  “charte du carbone”

qui prévoit notamment un refus de prêter à des groupes aux émissions élevées dont le projet financier ne prend pas en compte le coût futur des émissions. Le gouvernement américain est parvenu à la même conclusion. Et les compagnies d’assurance révisent les polices accordées aux gros pollueurs en relevant le coût du risque.

La montée du prix du carbone va aussi pousser au développement des énergies renouvelables. Les capitaux vont couler à flots dans ces nouveaux secteurs que sont les technologies de stockage et de réduction des émissions, la capture du carbone et les énergies alternatives. Comme beaucoup de tournants cruciaux, la montée du prix du carbone s’accompagne de risques, mais qui valent largement les énormes opportunités et bénéfices qu’elle va générer.

La tribune de Kevin Parket (parue en anglais dans le Financial Times) est consultable ici

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