[Avis d’expert] Que dit l’ordonnance autoconsommation ?

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Arnaud Gossement (DR)
Arnaud Gossement (DR)

Présentée hier, mercredi 27 juillet en Conseil des ministres, l’ordonnance relative à l’autoconsommation d’électricité est parue ce jour au Journal officiel. Vue comme une “petite révolution” par Arnaud Gossement, avocat spécialisé en droit de l’environnement, la publication de cette ordonnance devrait, selon lui, contribuer au développement de l’autoconsommation de petite taille, individuelle ou collective, en offrant un cadre juridique précis. Mais pas nécessairement simple…. 

Vers la création d’un régime juridique propre à l’autoconsommation

L’ordonnance n° 2016-1019 27 juillet 2016 offre une base législative pour créer un régime juridique spécifique aux opérations d’autoproduction et d’autoconsommation d’électricité. Ce qui devrait contribuer à leur développement. Toutefois, il s’agit encore d’un régime juridique incomplet et qui se caractérisera sans doute par la prudence de ses auteurs ainsi que par une certaine complexité.

L’autoconsommation a, véritablement, été inscrite dans le droit avec la loi pour la transtion énergétique et la croissance verte (LTECV). Avant cela, elle n’était, explicitement, ni interdite ni encouragée dans son développement. Seules quelques dispositions éparses étaient identifiables ça et là.
Or, l’article 2 de la LTECV précise que les politiques publiques « soutiennent l’autoconsommation d’électricité » et l’article 119 encourage même le Gouvernement à définir le régime juridique de l’autoproduction et de l’autoconsommation, au moyen d’une ordonnance « comportant notamment la définition du régime de l’autoproduction et de l’autoconsommation, les conditions d’assujettissement de ces installations au tarif d’utilisation des réseaux publics de distribution d’électricité et le recours à des expérimentations. » Par application de cet article 119, le ministère de l’environnement a présenté un projet d’ordonnance au Conseil supérieur de l’énergie, le 15 juin 2016. La Commission de régulation de l’énergie a ensuite publié une délibération sur ce texte.

L’ordonnance du 27 juillet 2016 insère les articles L.315-1 à 315-7 au sein du d’un chapitre V du titre Ier du livre III du code de l’énergie. Ces articles ont les objets suivants, ainsi résumés :

  • article L.315-1 : définition de l’opération d’autoconsommation ;
  • article L.315-2 : possibilité d’opérations d’autoconsommation collectives ;
  • article L.315-3 : tarifs d’utilisation des réseaux publics de distribution spécifiques pour les installations de moins de 100 kW ;
  • article L.315-4 : information du gestionnaire du réseau public de distribution sur l’achat du complément d’électricité ;
  • article L.315-5 : dérogation à l’obligation de conclure un contrat de vente avec un tiers pour le surplus d’électricité non consommée, pour les installations de petite taille en autoconsommation ;
  • article L.315-6 : conditions transparentes et non discriminatoires pour les opérations d’autoconsommation ;
  • article L.315-7 : déclaration au gestionnaire du réseau public des installations participant aux opérations d’autoconsommation.
Autoconsommation ou autoproduction ?

autoconsommation-600x320Pour faire le point sur les évolutions réglementaires à venir, un groupe de travail avait été constitué, fin 2013, par le ministère de l’Ecologie. Le rapport issue de ces travaux, comporte, notamment, une proposition de définition de l’autoconsommation mais aussi de l’autoproduction.

  •  « L’autoconsommation (en vert) peut se définir comme le fait de consommer tout ou partie de la production d’électricité sur le site où elle est produite (et éventuellement stockée). Cette part sera d’autant plus importante que la consommation du bâtiment est élevée au moment de la production.
  • L’autoproduction (en rose) peut se définir comme le fait de produire tout ou partie de la consommation d’électricité sur un site où a lieu cette consommation et qui n’est pas soutirée du réseau. »

Définition de l’opération d’autoconsommation. Le projet d’ordonnance proposait de donner la définition suivante de l’autoconsommation, à l’article L.315-1 du code de l’énergie : « Le fait, pour un producteur, de consommer lui-même et sur un même site tout ou partie de l’électricité produite par son installation. » On soulignera que seule l’opération d’autoconsommation était définie et non l’opération d’autoproduction, citée à l’article 119 de la LTECV.
L’ordonnance publiée au Journal officiel comporte une définition légèrement modifiée. L’opération d’autoconsommation étant désormais défini comme « le fait pour un producteur, dit autoproducteur, de consommer lui-même tout ou partie de l’électricité produite par son installation. » Cette définition introduit la notion d’« autoproducteur », en revanche, elle ne précise plus que la production et la consommation doivent être effectuées sur « un même site. »

La possibilité d’opérations d’autoconsommation individuelle ou collective. Il s’agit ici de l’une des dispositions les plus importantes. Le code de l’énergie précisera désormais clairement que l’autoconsommation peut être collective, ce qui contribuera sans doute fortement au développement des projets. Le projet d’ordonnance présenté en juin 2016 prévoyait déjà de rédiger ainsi le nouvel article L.315-2 du code de l’énergie de manière à donner une base juridique solide à l’autoconsommation collective : « L’autoconsommation peut être collective lorsqu’une vente d’électricité s’effectue entre un ou plusieurs consommateurs finals et un ou plusieurs producteurs, liés entre eux notamment sous forme d’association, de coopérative ou de syndicat de copropriétaires, dont les points de soutirage et d’injection sont situés sur une même antenne basse tension du réseau public de distribution. Cette vente d’électricité constitue l’opération d’autoconsommation collective. » Le projet d’ordonnance n’imposait pas une forme spécifique et donc contraignante d’association entre les acteurs d’une opération d’autoconsommation collective à l’échelle d’un immeuble, d’un quartier, etc.
L’ordonnance du 27 juillet 2016 retient une rédaction un peu différente de cet article L.315-2 du code de l’énergie se limitant à préciser que les parties prenantes sont : « liés au sein d’une personne morale et dont les points de soutirage et d’injection sont situés sur une même antenne basse tension du réseau public de distribution ».
Le rapport au Président de la République sur cette ordonnance précise : “L’autoconsommation collective pourra concerner par exemple des projets d’approvisionnement de logements collectifs ou de centres commerciaux par une installation solaire implantée sur site. »
A noter : plusieurs recommandations exprimées par la Commission de régulation de l’énergie, dans sa délibération du 13 juillet 2016, n’ont pas été suivies par les auteurs de l’ordonnance et notamment : la CRE avait indiqué qu’elle « considère que les installations de stockage devraient être prises en compte, au même titre que celles des producteurs, pour définir les opérations d’autoconsommation individuelle et collective. »

Autoconsommation collective : des obligations inadaptées ? A noter également, la rédaction définitive de l’article L.315-2 du code de l’énergie ne définit plus l’opération collective d’autoconsommation en fonction d’une « vente » d’électricité mais d’une « fourniture ». Le régime juridique de la fourniture d’électricité est précisé aux articles L.333-1 et suivants du code de l’énergie. Or, ces articles comportent des obligations qui ne paraissent pas adaptées aux opérations d’autoconsommation, selon la Commission de régulation de l’énergie, qui l’a signalé dans sa délibération : « La CRE recommande que le projet d’ordonnance précise, dans son projet d’article L. 315-2, que le régime des fournisseurs souhaitant réaliser de l’achat pour revente et des contrats de fourniture correspondants n’est pas applicable aux utilisateurs participant à une opération d’autoconsommation collective. » Cette recommandation ne semble pas avoir été suivie par les auteurs de l’ordonnance.

Un micro-Turpe pour les installations de moins de 100 kW. La question de l’inscription ou non de l’opération d’autoconsommation dans l’assiette du tarif d’utilisation des réseaux publics de distribution est une question sensible, très souvent débattue. L’article 119 de la LTECV prévoit que les installations de puissance inférieure à 100 kW font l’objet d’un tarif d’utilisation spécifique, sorte de « micro-Turpe » repris dans l’ordonnance du 27 juillet 2016. Dans sa délibération, la CRE s’y était montré plutôt hostile.

L’information du gestionnaire du réseau public de distribution sur l’achat du complément d’électricité. Le projet d’ordonnance prévoyait de rédiger le nouvel article L.315-4 du code de l’énergie de manière à ce que, lorsque l’installation participant à une opération d’autoconsommation ne suffit pas au besoin en électricité, le complément puisse être acheté au fournisseur d’électricité librement choisi par l’exploitant consommateur final.
Cet article L.315-4, dans sa rédaction définitive issue de l’ordonnance n’est plus consacré à la liberté de choix du fournisseur mais à l’information du gestionnaire de réseau. Il précise, en premier lieu, qu’en cas d’autoconsommation collective, la personne morale qui assure le lien entre producteurs et consommateurs finals doit indiquer au gestionnaire de réseau de distribution la répartition de la production autoconsommée. L’article L.315-4 du code de l’énergie traite en outre du cas où un consommateur final participant à une opération d’autoconsommation collective souhaite faire appel à un fournisseur pour compléter son alimentation : « Lorsqu’un consommateur participant à une opération d’autoconsommation collective fait appel à un fournisseur pour compléter son alimentation en électricité, le gestionnaire du réseau public de distribution d’électricité concerné établit les index de consommation de l’électricité relevant de ce fournisseur en prenant en compte la répartition mentionnée à l’alinéa précédent. »

Dérogation à l’obligation de conclure un contrat de vente avec un tiers pour le surplus d’électricité non consommée, pour les petites installations. Lorsque la production excède l’autoconsommation, le surplus peut être vendu à un tiers ou cédé gratuitement au gestionnaire de réseau. Toutefois, cette possibilité sera réservée à des installations d’une puissance installée maximale fixée par décret. L’article L. 315-5 du code de l’énergie précisera en effet : « Les injections d’électricité sur le réseau public de distribution effectuées dans le cadre d’une opération d’autoconsommation à partir d’une installation de production d’électricité, dont la puissance installée maximale est fixée par décret, et qui excèdent la consommation associée à cette opération d’autoconsommation sont, à défaut d’être vendues à un tiers, cédées à titre gratuit au gestionnaire du réseau public de distribution d’électricité auquel cette installation de production est raccordée. Ces injections sont alors affectées aux pertes techniques de ce réseau. »
Le rapport au Président de la République indique qu’« Il est envisagé que ce plafond soit fixé à environ 3 kilowatts, ce qui correspond à une installation d’autoconsommation domestique. »

Droit d’accès au réseau public. Le projet d’ordonnance prévoyait de rédiger le nouvel article L.315-6 du code de l’énergie de manière à consacrer explicitement un « un droit d’accès au réseau public ». Cet article consacrera finalement des « des conditions transparentes et non discriminatoires » pour la réalisation des opérations d’autoconsommation : « Les gestionnaires de réseaux publics de distribution d’électricité mettent en œuvre les dispositifs techniques et contractuels nécessaires, notamment en ce qui concerne le comptage de l’électricité, pour permettre la réalisation dans des conditions transparentes et non discriminatoires des opérations d’autoconsommation. »

Déclaration au gestionnaire du réseau public. Lorsque l’installation en autoconsommation a été mise en service avant la publication de l’ordonnance du 27 juillet 2016, leurs exploitants doivent les déclarer avant le 31 mars 2017 au gestionnaire du réseau public d’électricité (article 3 de l’ordonnance). Pour les autres installations en autoconsommation, leurs exploitants doivent les déclarer, préalablement à leur mise en service (article L.315-7 du code de l’énergie).

En conclusion, cette ordonnance devrait contribuer au développement de l’autoconsommation de petite taille, individuelle ou collective, en offrant un cadre juridique précis. Mais pas nécessairement simple. En outre, elle appelle d’autres textes pour parfaire le cadre juridique applicable à l’autoconsommation. Il conviendra notamment : de publier un décret relatif aux conditions de mise en service des installations en autoconsommation, de publier les tarifs d’utilisation du réseau pour ces installations, de préciser la place de l’autoconsommation dans les schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET), d’étudier le régime juridique des installations de stockage…
Enfin, l’attention des producteurs doit être attirée sur le fait que la construction et l’exploitation des installations d’autoproduction ne sont pas soumises aux seules dispositions du code de l’énergie. Il conviendra également de se reporter, notamment, aux codes de l’urbanisme ou de l’environnement, pour avoir une compréhension complète de l’ensemble des règles applicables à cette activité.

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