Cleantech françaises : comment innover, comment s’exporter ? [Compte-rendu]

Print Friendly, PDF & Email
20160407_103642
(Crédit : Luz de Valence)

A l’occasion de la publication de son Panorama 2016 des cleantech en France lors de la 7e édition du Forum national des éco-entreprises du Pexe, GreenUnivers a rassemblé, le 7 avril, un panel d’experts pour faire le point sur l’état des cleantech en France.

En première partie, Alexis Gazzo associé d’EY, et Patricia Laurent, cofondatrice de GreenUnivers, ont présenté l’évolution des investissements, des politiques publiques et des grands secteurs. Voici la présentation ci-dessous ou ici (PDF) :

Six experts ont ensuite échangé sur les stratégies d’innovation et la question – cruciale – de l’export : Ludovic Parisot, directeur de projet innovation chez Engie, Pierre Langer, président cofondateur de PowiDian, Olivier Dupont, président du conseil de surveillance de Demeter Partners, Pierre Nougué, cofondateur et président d’Ecosys et du Cleantech Open France, Bruno Geschier, directeur commercial et marketing d’Ideol, Hélène Buriev, chef de service énergie environnement de l’activité export chez Business France.

L’open innovation selon Engie

Ludovic Parisot, Engie

L’énergéticien a bien saisi l’ampleur de la transition énergétique et ses potentielles conséquences pour ceux qui voudraient lui résister. « On a vu Uber et Airbnb bousculer en quelques mois des marchés structurés de longue date. Engie a conscience des bouleversements qui pourraient chambouler le monde de l’énergie et essaie d’être très attentif et agile sur ces sujets », explique Ludovic Parisot. Un poids-lourd « à l’écoute », cela se traduit par une stratégie d’Open Innovation développée à la fois en interne et en externe.

RepèreGroupes et transition énergétique : la mutation d’Engie – Septembre 2015

En externe, Engie a mis sur pied en mai 2014 un fonds corporate Engie New Ventures, entièrement tourné vers l’innovation dans les cleantech. A peine deux ans plus tard, plus d’un quart de l’enveloppe – de 100 millions d’euros initialement – a été investi dans 8 start-up en Europe et aux Etats-Unis. Pour rappel, un deuxième fonds est déjà en préparation, doté de 1 à 2 milliards d’euros, selon Gérard Mestrallet, le PDG d’Engie.

Le groupe organise également des appels à projets pour dénicher les pépites sur des sujets stratégiques. « Nous avons lancé 25 appels à projets et retenu 30 lauréats », explique Ludovic Parisot.

En interne, le groupe développe « l’intrapreunariat » en permettant à ces collaborateurs de s’investir dans un projet d’entreprise hors les murs d’Engie, tout en restant salarié du groupe. Plus de 400 idées ont été déposées et cinq start-up sont déjà sorties avec succès du dispositif – dont GreenChannel (crowdfunding),Blue.e (efficacité énergétique), Deepki (data batiments) et Nextflex (effacement). 18 équipes, réunissant 50 collaborateurs sont toujours en cours d’incubation.

Être soutenu par un grand groupe : les +, les –

Pierre Langer, PowiDian

PowiDian, start-up spécialisée dans la production d’énergie en lieu isolé, est née en septembre 2014 d’un essaimage d’Airbus Defence & Space. Contrairement à Engie qui détient presque à 100% toutes les start-up issues de son programme d’intrapreunariat, Airbus n’a pas investi au capital de PowiDian mais l’héberge dans ses locaux. « Nos solutions font partie des briques technologiques utilisées par Airbus qui nous soutient également à l’export », détaille Pierre Langer.

Ce dernier, passé de cadre dirigeant chez Cassidian (groupe Airbus) a président d’une start-up, revient sur les avantages et les inconvénients de l’accompagnement par un grand groupe. « Face à des prospects, le fait d’être un essaimage d’Airbus nous permet d’être écoutés. 4 millions d’investissement et plusieurs brevets déposés ont précédé la création de l’entreprise », commence-t-il. « En revanche, la lenteur des process qui caractérisent les grands groupes est un handicap. Un investisseur potentiel a perdu patience devant la durée nécessaire pour la cession des brevets, avec l’intervention des services juridiques et fiscaux du groupe, etc ». Une fois lancée, la start-up est confrontée aux mêmes difficultés que les autres, notamment du point de vue financier : « des acheteurs étrangers demandent à voir nos trois premières références en France avant de s’engager, mais nous n’avons pas les fonds pour nous les payer seuls… », commente Pierre Langer, regrettant au passage la complexité et l’opacité des mécanismes publics de soutien à l’innovation.

Repère : La station autonome Powidian vise un marché mondial – Septembre 2015
20160407_105550
(Crédit : Luz de Valence)

Côté financement, ça innove aussi

Olivier Dupont, Demeter Partners

Depuis la fondation de Demeter Partners, en 2005, Olivier Dupont a vu une montée en puissance des cleantech. Depuis deux ans, tout particulièrement, il constate « une accélération des phénomènes d’innovation et une augmentation des fonds levés dans le secteur ». Pour rappel, les cleantech françaises ont levé plus d’un milliard d’euros en 2015, soit 55% de plus qu’en 2014. Un petit bémol, cependant, la relative stagnation des fonds investis en amorçage l’année dernière malgré la mise en place du Fonds national d’amorçage.

Témoin de la convergence accélérée entre les cleantech et le numérique, en particulier dans l’efficacité énergétique, Olivier Dupont appelle à un assouplissement réglementaire pour laisser s’épanouir les innovations. Il recommande cependant de faire très attention à ce que les interfaces restent toujours utiles, compétitives et conviviales.

Les innovations se multiplient aussi dans l’accès au financement et les VC classiques ne peuvent plus ignorer la percée des solutions de financement participatif. « On se demande si c’est l’uberisation de notre métier », questionne Olivier Dupont tout en rappelant que le crowdfunding est plus sujet aux modes que l’investissement professionnel, capable d’analyser et de prendre du recul. « Au temps court et médiatique, il ne faudrait pas sacrifier le temps long qui est fondamental pour faire aboutir des innovations structurantes », conclut-il.

Repères :
Crowdfunding : sur quelle(s) plateforme(s) lever des fonds ? – Avril 2015
Crowdfunding & cleantech : le vrai du faux – Septembre 2014

De l’importance des réseaux professionnels

Pierre Nougué, Ecosys/Cleantech Open France

A mesure qu’elles gagnent en maturité, les cleantech françaises atteignent un niveau de précision inédit, selon Pierre Nougué. « On n’est plus sur des concept globaux, on est sur de l’interopérabilité entre grands groupes et start-up, entre expertises mathématiques, technologiques, etc », commente-t-il. Un changement fort, largement encouragé par un écosystème dense et des réseaux puissants entre les entreprises, à l’instar des 116 clusters actifs en France ou du Pexe qui fédère les réseaux d’éco-entreprises.

Pierre Nougué évoque également le déploiement à grande échelle de réseaux électriques intelligents ou encore les 11 démonstrateurs industriels de la ville durable qui représentent à eux seuls quelque 150 hectares de terrains pour modéliser et expérimenter. A noter aussi l’alliance pour l’innovation ouverte créée par Bercy en décembre 2015 et coprésidée par Engie et Ubiant. En résumé, « il y a aujourd’hui de la matière numérique, des datas qui agissent comme effet levier pour aider les entreprises à monter en puissance », souligne Pierre Nougué.

L’international, un impératif pour les cleantech ? 

Malgré une loi de transition énergétique méritante, la France n’est clairement pas dans le peloton de tête en termes de marchés. Dans les EnR par exemple, alors que la Chine a concentré à elle seule 30% des investissements en 2015, les sociétés françaises doivent se tourner vers l’export. Un exercice qui n’est pas sans difficultés cependant.

Pour une offre française intégrée et globale

Business France, Hélène Buriev

Business France travaille avec les entreprises en France et avec les municipalités à l’étranger pour présenter et promouvoir l’offre tricolore. Pour Hélène Buriev, il est important de pouvoir proposer une offre française intégrée et globale, et pas seulement des briques technologiques promues individuellement. « A Vivapolis par exemple, des architectes, des urbanistes, utilities et des ingénieurs coopèrent et c’est là qu’on se démarque vraiment » insiste-t-elle. Le top ? « Arriver auprès d’acheteurs avec des solutions de financement, assure t-elle. Bpifrance y travaille justement avec des solutions de crédit acheteur ».

Et à l’échelle d’une entreprise ? « L’export fait rêver mais c’est long, compliqué », ajoute Hélène Buriev. Elle rappelle qu’« il faut être structuré, avoir des fonds dédiés à l’export car la prospection n’est une étape. Ensuite, il faut des ressources humaines dédiées ». Ce faisant, elle salue la progression et l’organisation interne de la start-up Ideol, passée en quelques années de « 1 à 60 personnes, essentiellement pour répondre aux exigences de l’internationalisation, notamment au Japon ». « L’école de management interne y est très intéressante », commente à ce propos Olivier Dupont de Demeter Partners.

Se faire confiance en tant que start-up

Bruno Geschier, Idéol

Alors qu’il a contribué à installer Idéol au Japon et à Taïwan, Bruno Geschier relativise l’idée selon laquelle on ne peut pas aller à l’étranger sans référence en France « Il ne faut pas se freiner par rapport à cela », assure-t-il. « En revanche, il faut toujours garder une certaine humilité, cultiver les partenariats avec les entreprises locales. Arriver en vantant ses réussites en France peut aussi être contre-productif », prévient-il. Bruno Geschier rappelle en conclusion que « la réussite à l’export passe aujourd’hui par le soutien d’organismes comme Business France. Je n’aurai pas dit ça il y a dix ans mais le travail de Business France porte aujourd’hui véritablement ses fruits ».

Article précédent[Dossier efficacité énergétique] Entreprises et investisseurs prennent l’initiative [3/3]
Article suivantL’Argentine prépare un appel d’offres dans les EnR