EDF réclame à Bruxelles un prix plancher pour le carbone

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CO2

A l’égard du prix du carbone, les avis ont bien changé. En tout cas ceux des industriels européens. En 1992 et comme le rappelle Christian de Perthuis dans son livre « Et pour quelques degrés de plus*», les lobbies industriels avaient tout fait pour torpiller le projet de la Commission européenne de taxer les émissions industrielles de CO2. Le projet fut remplacé en 1995 par un marché de quotas d’émissions (EU emissions trading system, EU ETS). Il suscita parfois un grand enthousiasme comme par exemple à la Deutsche Bank en 2009, mais s’est complètement effondré depuis, du fait de quotas trop nombreux par rapport au potentiel. La tonne de CO2 cote aujourd’hui moins de sept euros sur le marché européen.

Capacités et carbone, à lancer et relancer

Mais désormais, le prix du CO2 n’est plus l’ennemi ; la transition énergétique s’est imposée, le cours des énergies fossiles est en grande déprime, les énergies renouvelables défient et défont le modèle standard de l’énergie européenne. Une étude réalisée par le cabinet EY en amont de la Cop21 montrait déjà l’évolution des entreprises, dont certaines ont même instauré un prix du carbone interne pour préparer ce qui leur semble désormais inéluctable.

Cette semaine, c’est au tour de Jean-Bernard Lévy, président d’EDF, de réaffirmer sa position, à l’occasion de sa participation à l’EU Energy Summit à Bruxelles et au moment où la Commission européenne prépare sa future directive sur les énergies renouvelables, prévue pour 2017. Comme le signale le groupe EDF dans un communiqué, son président souhaite voir « instaurer sans délai un prix plancher significatif du CO2 au sein de l’UE, de façon à encourager les investissements dans des moyens de production à base de combustible non fossiles. Selon les estimations actuelles, un prix plancher du carbone à un niveau minimum de 30/40€ aurait un tel effet incitatif ».

Favoriser la transition énergétique sans trop fragiliser les positions

En complément de cette mesure, Jean-Bernard Lévy appelle de ses vœux de « véritables mécanismes de capacité de façon à garantir dans la durée et malgré les turbulences du marché, la sécurité d’approvisionnement énergétique du continent ».

Marché du carbone et marché des capacités sont pour l’électricien français les deux priorités de la réforme du modèle de l’électricité en Europe, une transformation qu’EDF souhaite à la fois « rapide et profonde ». Le but est, pour ce groupe comme pour ses grands homologues européens de favoriser la transition énergétique sans trop fragiliser leurs positions. Mais pour EDF, une tarification du carbone partagée par tous les pays européens aurait le mérite, entre autres, de favoriser les producteurs d’électricité décarbonée, qu’elle soit nucléaire ou d’origine renouvelable. Elle contribuerait aussi, peut-être, à relever les cours de l’électricité, aujourd’hui historiquement bas. Les centrales à charbon brûlent une matière première qui cotait 60$ la tonne il y a deux ans et 43$ aujourd’hui.

Une réserve d’allocations carbone en 2019

Pour tenter de redresser la barre, l’Union européenne, après force hésitations, a approuvé le principe, le 18 septembre dernier, d’une inédite réserve de stabilité sur le marché du CO2, laquelle stockerait les quotas de CO2 invendus pour les revendre en période de croissance économique, ce qui empêcherait les cours de plonger. Problème : elle ne sera opérationnelle qu’en 2019 et ne fera ses preuves qu’à long terme. D’ici là, le marché européen de l’électricité pourrait continuer à susciter force inquiétudes chez ses protagonistes.

Même si les énergéticiens européens ne veulent toujours pas ressusciter la taxe carbone – que la France a non seulement adoptée mais prévoit à 56€ la tonne en 2020 – ils font désormais tout pour ranimer le moribond mécanisme de marché. Pour sa part, Gérard Mestrallet, président d’Engie, le proclamait en avril 2015 dans une tribune du Monde, en préconisant trois décisions  : il faut « généraliser les mesures de tarification du carbone (…), rechercher de la flexibilité (…), ce qui plaide pour des systèmes de marché aujourd’hui présents dans 35 pays et réparer sans attendre le marché européen des émissions de carbone » écrivait-il.

Juste deux ans auparavant, en octobre 2013, dix énergéticiens (RWE, E-ON, Enel, Eni, Gas Terra, Iberdola, Gas Natural, CEZ, Vattenfall et GDF Suez) alertaient de concert la Commission européenne sur la nécessité de à la fois supprimer les subventions aux énergies renouvelables et donner un prix plus élevé au carbone, pour contrer la variation imprévisible du coût des fossiles.

*”Et pour quelques degrés de plus”, Christian de Perthuis, Pearson, 2010, Paris, 300 pages.

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