Tarif d’achat éolien : anticiper la décision de la cour de justice européenne

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L’adoption au Sénat, par une majorité de circonstance, d’une motion d’irrecevabilité aboutissant au rejet de la proposition de loi sur la tarification de l’énergie, qui contenait des dispositions concernant l’éolien, a suscité une vive émotion. Mounir Meddeb, avocat au Barreau de Paris, fondateur d’Energie-legal, cabinet d’avocats dédié au secteur de l’énergie, évalue l’impact réel de ce rejet pour la filière éolienne et analyse la question déterminante des tarifs d’achat qui n’est à ce jour pas traitée.

 1. Les mesures en matière d’éolien prévues par la proposition de loi ne constituent pas la première urgence

La proposition de loi telle qu’adoptée par l’Assemblée nationale le 4 octobre 2012 contient trois mesures en faveur de l’éolien :

– Suppression les zones de développement de l’éolien au sein desquelles les installations éoliennes doivent être situées afin d’avoir vocation à bénéficier du dispositif d’achat d’électricité ;

– Suppression de la condition des cinq mâts pour la constitution d’unités de production éolienne ;

– Instauration d’une dérogation à la loi « littoral » afin de permettre le raccordement des installations éoliennes en mer et l’implantation d’éoliennes dans les DOM.

Ces mesures sont d’inégale pertinence et certaines pourraient être discutées.

Quoi qu’il en soit, en prévenant le contentieux et rendant possibles certaines installations, les mesures prévues devraient être de nature à favoriser la filière éolienne.

Le rejet par le Sénat de la proposition de loi sonnerait-il le glas de ces mesures ?

Les commentaires alarmistes qui ont suivi le rejet par le Sénat de la proposition de loi devraient être modérés dans la mesure où le principe de ces dispositions n’est pas remis en cause.

En effet, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, ces mesures n’ont pas fondamentalement contestées.

En revanche, a été contesté, d’une part, le recours à des cavaliers législatifs, source potentielle d’une censure partielle par le Conseil constitutionnel et, d’autre part, l’insertion d’amendements portant ces dispositions postérieurement à l’adoption du rapport du rapporteur et trois jours seulement avant la séance publique.

N’étant pas remises en cause en tant que telles, ces dispositions devraient être adoptées dans le cadre d’une future mouture en veillant à éviter les deux travers visés ci-dessus.

Quelle que soit leur pertinence, ces mesures ne seront pas à elles seules de nature à redynamiser la filière éolienne et à favoriser l’émergence de nouveaux projets.

En effet, la proposition de loi ne répond pas à la question fondamentale de la sécurisation des tarifs d’achat.

2. La nécessaire sécurisation des tarifs d’achat n’est toujours pas traitée

Sans garantie de la pérennité des tarifs d’achat, les investisseurs et les organismes de financement ne seront pas incités à développer et à participer à des projets d’installations éoliennes.

Il est inutile dans ce cadre de commenter de nouveau l’arrêt du Conseil d’Etat du 15 mai 2012 (Association Vent de Colère! Fédération Nationale et autres, n°324852) pris dans le cadre du recours en annulation contre l’arrêté du 17 novembre 2008 fixant les tarifs d’achat pour l’électricité produite par des éoliennes.

La difficulté ne vient pas d’un problème de procédure mais de qualification juridique

Mais il est important de rappeler que, conformément à loi n° 2000-108 du 10 février 2000, le soutien des énergies renouvelables était financé par le fonds du service public de la production d’électricité (FSPPE). Ce fonds était alimenté par des contributions versées par les producteurs, les fournisseurs et les distributeurs.

Saisi par l’Uniden dans le cadre d’un recours en annulation dirigé contre l’arrêté ministériel du 8 juin 2001 fixant les conditions d’achat de l’électricité produite par les installations éoliennes, le Conseil d’Etat a jugé que « la charge financière de l’obligation d’achat dont bénéficient les installations utilisant l’énergie mécanique du vent est, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, répartie entre un certain nombre d’entreprises, sans que des ressources publiques contribuent, directement ou indirectement, au financement de l’aide ; qu’il est, par suite, clair que l’arrêté attaqué n’a pas institué une aide d’Etat au sens des stipulations de l’article 87 du Traité instituant la Communauté européenne ; qu’il en résulte que le moyen tiré de ce que, en application du paragraphe 3 de l’article 88 du Traité, cet arrêté aurait dû être transmis à la Commission européenne doit être écarté » (Conseil d’Etat, 9ème et 10ème sous-sections réunies, 21 mai 2003, 237466, Rec. Lebon).

Ainsi jusqu’en 2003, la qualification du dispositif d’achat ne faisait l’objet d’aucune difficulté ou incertitude dans la mesure où il était clair que compte tenu de son mode de financement, ce dispositif n’était pas constitutif d’une aide d’Etat.

Au demeurant, cette position était parfaitement cohérente avec la jurisprudence de la CJUE comme a tenu à le rappeler le Conseil d’Etat en citant un large passage de l’arrêt PreussenElektra AG (CJCE, C-379/98, 13 mars 2001) aux termes duquel « une réglementation d’un Etat membre qui, d’une part, oblige des entreprises privées d’approvisionnement en électricité à acheter l’électricité produite dans leur zone d’approvisionnement à partir de sources d’énergie renouvelables à des prix minimaux

supérieurs à la valeur économique réelle de ce type d’électricité et, d’autre part, répartit la charge financière résultant de cette obligation entre lesdites entreprises d’approvisionnement en électricité et les exploitants privés des réseaux d’électricité situés en amont ne constitue pas une aide d’Etat ».

Toutefois, cette situation a évolué dans la mesure où la loi n° 2003-8 du 3 janvier 2003 a substitué la CSPE au FSPPE. Dès lors, la modification du mode de financement du dispositif d’obligation d’achat aurait dû donner lieu à une nouvelle analyse juridique laquelle aurait permis de requalifier ce dispositif en aide d’Etat.

Par conséquent, la question procédurale de la notification du régime d’aide d’Etat à la Commission européenne n’est que la conséquence de la problématique fondamentale et préliminaire de la qualification du dispositif.

Une circonstance atténuante peut être toutefois trouvée à l’absence d’analyse suite à la modification du cadre juridique du financement du dispositif d’obligation d’achat.

En effet, ce n’est qu’en 2008 que la CJUE elle-même a modifié sa jurisprudence comme a tenu également à le rappeler le Conseil d’Etat.

Ainsi, dans son arrêt Essent Netwerk Noord BV (CJUE, C-206/06, 17 juillet 2008), la Cour de justice a précisé que « 72. Ces diverses circonstances distinguent la mesure en cause dans l’affaire au principal de celle visée dans l’arrêt du 15 juillet 2004, Pearle e.a. (C‑345/02, Rec. p. I‑7139). Les fonds en cause dans cette affaire, utilisés pour une campagne publicitaire, avaient été collectés par un organisme professionnel auprès de ses affiliés bénéficiaires de la campagne, au moyen de contributions affectées obligatoirement à l’organisation de cette campagne (arrêt Pearle e.a., précité, point 36). Il ne s’agissait, dès lors, ni d’une charge pour l’État ni de fonds demeurant sous le contrôle de l’État, au contraire du montant perçu par SEP, qui a pour origine une taxe et ne peut pas avoir d’autre affectation que celle prévue par la loi.

73. Par ailleurs, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Pearle e.a., précité, si les fonds étaient collectés par un organisme professionnel, la campagne publicitaire était organisée par une association privée d’opticiens, avait un objectif purement commercial et ne s’inscrivait nullement dans le cadre d’une politique définie par les autorités (arrêt Pearle e.a., précité, points 37 et 38). Dans la présente affaire au principal, en revanche, l’attribution du montant de 400 millions de NLG à la société désignée a été décidée par le législateur.

74. De même, la mesure en cause est différente de celle visée dans l’arrêt du 13 mars 2001, PreussenElektra (C‑379/98, Rec. p. I‑2099), dans lequel la Cour a jugé, au point 59, que l’obligation, faite à des entreprises privées d’approvisionnement en électricité, d’acheter à des prix minimaux fixés l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables n’entraîne aucun transfert direct ou indirect de ressources d’État aux entreprises productrices de ce type d’électricité. Dans ce dernier cas, les entreprises n’étaient pas mandatées par l’État pour gérer une ressource d’État, mais étaient tenues d’une obligation d’achat au moyen de leurs ressources financières propres ». Par conséquent, la Cour de justice a conclu que les montants versés constituaient une intervention de l’État au moyen de ressources d’État.

Dès lors, c’est notamment à compter de 2008, suite aux précisions apportées par la Cour de justice dans son arrêt Essent par rapport à son arrêt PreussenElektra que la question de la qualification du dispositif d’obligation d’achat aurait dû être sérieusement menée.

Cela est d’autant plus le cas que l’arrêté du 17 novembre 2008 ainsi qu’une série d’arrêtés portant sur les tarifs d’achat d’autres énergies renouvelables, étaient postérieurs à l’arrêt Essent de la CJUE.

Ce travail de qualification aurait permis de prévenir l’insécurité juridique dans laquelle se trouvent les filières des énergies renouvelables en France.

Les conséquences d’une annulation de l’arrêté tarifaire

Compte tenu de la jurisprudence de la CJUE et du raisonnement même suivi par le Conseil d’Etat dans ses arrêts du 21 mai 2003 et du 15 mai 2012, il est probable que la CJUE qualifie le dispositif français de financement du dispositif d’achat d’aide d’Etat. Au demeurant, c’est dans ce sens que s’est prononcé le rapporteur public dans le cadre du recours contre l’arrêté tarifaire éolien.

Or, dans la mesure où une aide d’Etat n’est en principe légale que sous réserve de la notification préalable du projet à la Commission européenne et l’obtention d’une décision de compatibilité, le Conseil d’Etat devrait déclarer le dispositif non compatible avec le marché commun, du moins pour défaut de notification.

Dès lors, l’arrêté tarifaire devrait être annulé par le Conseil d’Etat.

Dans ce cadre, la question de la rétroactivité ou non de l’annulation de cet arrêté est secondaire.

En effet, toute aide d’Etat non notifiée doit en principe donner lieu à un remboursement de la part des bénéficiaires, y compris donc pour les contrats en cours.

Toutefois, il y a lieu de prendre notamment en compte un tempérament à ce principe. En effet, la Commission européenne a pu, sur le fondement de la jurisprudence de la Cour de justice, accepter qu’une aide déclarée pourtant illégale ne soit pas récupérée dans le cas où l’Etat a légitimement pu considérer que la mesure ne constituait pas une aide. Cela a été, par exemple, le cas pour un mécanisme proche mais qui n’avait pas été qualifié d’aide d’Etat par la Commission européenne.

Ainsi dans sa décision n°2003/883 du 11 décembre 2002 concernant les Centrales de trésorerie mis à exécution par la France (C 46/2001, JOUE n°L330/23 du 18 décembre 2003), la Commission européenne a indiqué que « […] la position prise par la Commission dans le passé, à l’égard de certaines mesures fiscales en faveur des multinationales, a pu susciter, dans le chef des autorités françaises et des bénéficiaires du régime, la confiance légitime que le régime des centrales de trésorerie était compatible avec les règles applicables en matière d’aides d’État. La Commission constate que la récupération de l’aide irait à l’encontre du principe général de respect de la confiance légitime et, par conséquent, renonce à exiger cette récupération ».

Or, concernant le dispositif de financement des énergies renouvelables, il pourrait être invoqué que compte tenu de la proximité des mécanismes de FSPPE et de CSPE et de l’évolution récente apportée par la CJUE en 2008 dans son arrêt Essent par rapport à la date d’adoption de l’arrêté contesté, c’est légitimement que la France n’a pas pu considérer que la modification du mode de financement ferait basculer le dispositif dans la catégorie des aides d’Etat.

Mettre rapidement fin à cette insécurité juridique

Une filière industrielle ne peut pas se satisfaire d’une situation d’insécurité juridique concernant la pérennité des tarifs d’achat.

Dans ce cadre, deux mesures urgentes doivent être entreprises par le Gouvernement sans attendre la réponse de la CJUE et plus particulièrement l’arrêt du Conseil d’Etat qui sera pris suite à la réponse de la CJUE.

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A cet égard, la position de la ministre de l’Energie, lors de sa visite de l’usine Enercon le 29 octobre dernier, selon laquelle « concernant le prix d’achat, la procédure est en cours à la Cour de justice européenne, on ne peut pas l’anticiper. Il y aura une sécurisation qui pourrait venir avec la création de la Banque publique d’investissement » est critiquable dans ses deux branches.

D’une part, il conviendrait justement d’anticiper la position de la CJUE afin d’éviter d’être mis au pied du mur lorsque l’arrêt de la Cour sera transmis au Conseil d’Etat.

D’autre part, l’éventuelle sécurisation qui viendrait de la BPI, outre son caractère hypothétique pour le moment, risque de créer une situation juridique identique à celle que les filières subissent actuellement.

En effet, quel que soit le dispositif employé, il est requis qu’il soit précédé d’une analyse juridique permettant de le qualifier et, en fonction de la qualification retenue, d’examiner le régime juridique applicable.

La première des mesures urgentes est d’entamer des discussions avec la Commission européenne afin de sécuriser le tarif pour la période antérieure en se fondant notamment sur le principe de confiance légitime mentionné ci-dessus.

Cette mesure n’est pas suffisante et il est nécessaire de sécuriser les tarifs pour l’avenir. Cela passe par la notification d’un nouveau projet d’arrêté – voire d’un texte-cadre qui concernerait toutes les filières des énergies renouvelables concernées – afin d’obtenir une décision de comptabilité assortie le cas échéant de conditions, mettant fin à toute insécurité juridique concernant les tarifs d’achat.

A cet égard, il y a lieu d’envisager une position ouverte de la Commission européenne. Ainsi, dans sa communication du 6 juin 2012 intitulée Énergies renouvelables : un acteur de premier plan sur le marché européen de l’énergie (COM(2012) 271 final), la Commission européenne a rappelé la nécessité des aides même si les régimes doivent être modifiés afin de garantir leur efficacité économique et a indiqué qu’elle « prévoit d’élaborer des orientations sur les meilleures pratiques et l’expérience acquises sur ces questions ainsi, le cas échéant, que sur la réforme des régimes d’aide, afin d’aider à renforcer la cohérence des approches nationales et d’éviter la fragmentation du marché intérieur ». Il s’agit là d’une reconnaissance de l’existence de ces régimes d’aides.

Le précédent de la Slovénie

L’analyse de ce que pourrait être la position de la Commission européenne pouvait être d’ailleurs anticipée notamment à la lumière de sa décision en date du 24 avril 2007 concernant le régime d’aides d’État mis en œuvre par la Slovénie dans le cadre de sa législation relative aux producteurs d’énergie qualifiés (C 7/2005, JOUE L291/9 du 24 août 2007).

En effet, la Slovénie a notifié à la Commission européenne le régime d’aides instauré en 2001 afin de soutenir la production d’électricité à partir de sources d’énergie renouvelables et par cogénération et afin d’assurer un approvisionnement énergétique fiable à partir des sources indigènes.

Ce régime consiste pour les producteurs d’électricité désignés comme « producteurs qualifiés » à pouvoir vendre la totalité de leur production par le gestionnaire du réseau auquel ils sont raccordés au prix, supérieur au prix du marché, fixé et ajusté annuellement par l’État. Ils peuvent également décider de vendre leur électricité directement sur le marché et percevoir une prime correspondant à la différence entre les revenus qu’ils auraient obtenus en cas de vente au gestionnaire du réseau et ceux qu’ils ont obtenus du marché.

Un fonds alimenté par les recettes tirées d’une taxe parafiscale sur la consommation d’électricité frappant tous les consommateurs d’électricité – en somme l’équivalent de la CSPE – permet de financer ce dispositif.

Suite à une analyse approfondie, la Commission européenne a conclu que les mesures de soutien mis en place par la Slovénie sont compatibles avec l’encadrement communautaire des aides d’État pour la protection de l’environnement de 2001 (JOUE C37/3 du 3 février 2001, p.3).

Pour une centrale de production d’électricité analysée de manière spécifique (cette centrale utilisait 15% d’énergie primaire indigène), la Commission a conclu, conformément à la jurisprudence de la CJUE Altmark qu’il ne s’agit pas d’une aide d’Etat mais d’une compensation des coûts liés à un service d’intérêt économique général dans le domaine de la sécurité d’approvisionnement en électricité.

Un travail similaire devrait être menée par l’administration pour ce qui concerner l’ensemble des filières des énergies renouvelables.

Au-delà des dispositions contenues dans la proposition de loi et de la sécurisation des tarifs d’achat, d’autres mesures devraient être envisagées rapidement.

Ainsi pour citer à nouveau la communication de la Commission européenne de juin 2012 citée ci-dessus « les coûts des projets sont également fonction des coûts administratifs et des coûts en capital. Des procédures d’autorisation complexes, l’absence de guichet unique, la création de procédures d’enregistrement, des processus de planification qui peuvent prendre des mois, voire des années, la crainte de modifications rétroactives des régimes de soutien, tous ces facteurs accroissent les risques liés aux projets ».

 

 

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