Le smart grid, nouveau front dans la bataille des brevets (Avenium)

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“Une gestion stratégique de la propriété industrielle dans le secteur des réseaux électriques intelligents, les smart grids, est plus que jamais indispensable”, lance Cyril Mavré, consultant senior chez Avenium Consulting*, filiale de CEA Investissement. Ce cabinet de conseil en stratégie et management de la propriété industrielle a élaboré un panorama des brevets des technologies smart grids révélant la position dominante de l’Asie dans le domaine face à l’Europe.

Les acteurs européens semblent par ailleurs mal protégés dans la bataille des brevets qui s’ouvre dans le secteur de l’énergie et des réseaux électriques intelligents. Ce dernier commence à être attaqué par des entreprises dites “patent troll”, initialement positionnées sur le secteur des technologies de l’information, où l’innovation est très rapide. Elles utilisent l’arme des brevets comme modèle économique pour soutirer des accords de licences et des dommages et intérêts.

GreenUnivers : Quel est l’enjeu de la propriété industrielle ?

La propriété industrielle est l’une des deux branches de la propriété intellectuelle, avec la propriété littéraire et artistique. Elle peut s’exprimer sous différentes formes : brevets, savoir-faire, marques, modèles… Les entreprises sont les premières concernées et elles doivent mettre en place de véritables stratégies en matière de propriété industrielle, dans le but de garder et d’acquérir des parts de marché. Les grands groupes comme les start-up sont concernés. Dans les smart grids, malgré la présence en France et en Europe de nombreux fleurons industriels, les acteurs européens sont mal protégés et mal positionnés dans la bataille des brevets.

Nous avons réalisé une étude chez Avenium, sur une durée de deux ans : un panorama portant sur les brevets publiés, c’est à dire déposés jusqu’à octobre 2009, concernant des technologies identifiées comme smart grids, ayant naturellement un lien avec le réseau électrique. Les technologies sont segmentées en sept grandes thématiques représentant 9.000 familles de brevets : la stabilité du réseau en continu, la gestion des équipements de réseau, la visualisation et la surveillance du réseau, la stabilité des réseaux hors ligne, la communication et la sécurité de l’informatique, l’intégration des énergies renouvelables et distribuées et enfin la gestion de la consommation énergétique des utilisateurs.

L’observation de ce panorama des brevets démontre clairement un déséquilibre entre les grandes puissances en matière d’innovation. Sur les 9.000 familles de brevets répertoriées à ce jour, deux tiers viennent des acteurs asiatiques, plus précisément du Japon, de la Chine et de la Corée du Sud. Le dernier tiers étant partagé entre les acteurs européens et les acteurs américains, largement en faveur de ces derniers.

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GU : On observe depuis plusieurs mois un dynamisme important d’entreprises françaises sur les smart grids, à l’image de Schneider Electric et d’Alstom. Le pays dispose aussi de start-up innovantes et le marché est tout juste émergent. La tendance peut-elle s’inverser ?

Dans chaque pays, les politiques d’investissement massif ont pour effet quasiment mécanique d’accélérer le nombre de dépôts de brevets dans le pays. Et en la matière, de nombreux pays émergents disposent de moyens financiers bien plus larges que les pays développés en Europe. L’innovation explosive observée en Chine accentuera le déséquilibre dans les années à venir (cf. illustration ci-contre). Malgré des politiques d’investissement très volontaristes dans les smart grids en France et en Europe, celles-ci ne permettront pas de renverser la tendance observée, car les autres pays subventionnent également massivement les développements dans ce domaine.

Schneider Electric figure par exemple en bonne place dans le Top 30 des entreprises les plus dynamiques en matière de dépôts de brevets, autour de la 25e place. Et le groupe devrait consolider un portefeuille de brevets plus large encore suite aux acquisitions répétées sur le marché du smart grid, réalisées ces derniers mois. Les groupes les plus actifs sont Toshiba, Hitachi, et Mitsubishi (Japon), ABB (Suède-Suisse) et Siemens (Allemagne).

GU : Quels sont les risques d’une mauvaise protection de la propriété industrielle ?

Les industriels et les entreprises en Europe peuvent faire face à de multiples menaces. L’arrivée d’une concurrence asiatique, forte du nombre de ses innovations, en est la première. Nous voyons déjà des acteurs japonais sur des expérimentations smart grid en France, comme Toshiba à Lyon. L’entrée en scène d’acteurs issus du domaine des nouvelles technologies de l’information et des communications (NTIC), habitués à des pratiques de propriété industrielle bien plus agressives que celles habituellement connues dans le monde de l’énergie, représente également un risque. Il y a aussi la menace des “patents trolls”, des entreprises spécialisées dans l’acquisition de brevets qu’elles n’exploitent pas, et dans la concession de licences coercitives sous la menace de litiges.

Fait nouveau, ces patents trolls, nés principalement avec l’industrie des NTIC, diversifient leurs activités et le smart grid devient un domaine propice à leurs attaques. Schneider Electric en a fait les frais ces dernièrs mois aux Etats-Unis face à l’entreprise Sipco. Avec ABB, Siemens ou encore General Electric, le groupe français a été poursuivi pour des affaires de contrefaçon de brevets sur des technologies de communication sans fil pour le réseau. Comme Sipco, Mesh Comm arrive dans le domaine de l’énergie et s’en prend aux utilities et aux fabricants de compteurs, comme Landy+Gyr.

GU : Comment les entreprises du smart grid peuvent-elles se protéger face à ces menaces ?

Face à un marché aussi prometteur que celui des smart grids, le retard pris dans la protection de l’innovation doit être combattu intensément. S’il ne faut pas se reposer sur le montant des investissements publics pour combler ce retard, il est en revanche nécessaire d’élaborer au plus tôt une réelle stratégie de propriété industrielle en soutien au développement des acteurs français, voire européens.

Pour faire face à des menaces extérieures, il faudrait mettre en place au niveau collectif un fonds de brevets communs spécialisé sur les smart grids, construit sur le modèle des agrégateurs de brevets américains. Ce fonds pourrait prendre forme au niveau français ou européen, et serait en charge de l’acquisition et de la mise en commun des brevets clés, les partenaires industriels du fonds bénéficiant tous de licence d’exploitation sur les brevets du fonds.

À l’échelle individuelle, chaque entreprise doit élaborer une stratégie de propriété industrielle soutenant sa stratégie de développement adoptée sur un domaine technologique donné. Ces stratégies sont multiples : dépôt ciblé de nouveaux brevets dans des espaces laissés libres par les concurrents, dépôt de brevets bloquants pour ses concurrents directs, acquisition au plus tôt de droits essentiels (prise de licence, achat de brevets, licences croisées), etc.

Propos recueillis par Alexandre Simonnet

*D’abord cellule spécialisée créée en 2002 pour la valorisation des brevets non utilisés du CEA, Avenium a vu son activité s’émanciper en 2009, avec la création d’une entité indépendante, détenue à plus de 80% par CEA Investissement (ex-CEA Valorisation).

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