Eolien : le risque juridique

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Semaine décisive pour les éoliennes : les principales conclusions du rapport de la Mission parlementaire sur l’éolien, présidée par Patrick Ollier, ont été dévoilées ce week-end dans Libération puis dans Le Figaro . Elles seront rendues publiques le 30 mars. Elles annoncent des débats houleux, surtout lors de la discussion du projet de loi Grenelle 2, annoncée pour le mois mai. L’avis d’Arnaud Gossement, avocat associé du Cabinet Huglo-Lepage & Associés et Maître de conférences à Sciences Po.

La stratégie de la tenaille

“La mission parlementaire sur l’éolien avait pour objet principal de débattre des propositions d’amendements au projet de loi Grenelle 2, relatives aux aérogénérateurs qui suscitent la polémique. Dans ce contexte, le plus inquiétant pour l’avenir de l’éolien tient au risque d’être pris en tenaille. D’un côté, le rapport de la mission parlementaire encourage la création de grands parcs éoliens, en fixant un seuil plancher de 15 à 20 MW. De l’autre, les projets de grands parcs sont justement ceux qui feront l’objet des contraintes juridiques les plus lourdes et du risque juridique le plus élevé. L’éolien est donc pris en tenaille alors même que la taille d’un parc ne devrait sans doute pas être fixée une fois pour toutes mais pensée en fonction des caractéristiques de chaque territoire.

Des objectifs ambitieux

Au lendemain du Grenelle de l’environnement, la France s’est engagée à porter la part des énergies renouvelables à 23% de sa consommation finale d’énergie. S’agissant de l’éolien, l’arrêté de programmation pluriannuelle des investissements, signé par Jean-Louis Borloo à Copenhague le 15 décembre 2009, prévoit que la puissance installée des éoliennes devrait être de 25 000 MW contre 4567 MW aujourd’hui.

Le paradoxe de l’éolien

Si les objectifs sont ambitieux, les moyens pour les atteindre le sont beaucoup moins. En réalité, la qualité du droit applicable en France au développement de l’énergie du vent tend à se dégrader. La raison ? La rédaction de la règle de droit est de plus en plus, ici comme ailleurs, le résultat de compromis, de négociations qui ont pour résultat premier, des textes parfois illisibles. A la veille des débats à l’Assemblée nationale sur le projet de loi “Grenelle 2” portant “Engagement national pour l’environnement”, une bataille d’amendements va donc s’engager. C’est dans ce contexte qu’une mission parlementaire a été créée, en septembre dernier, pour faire le point sur le futur cadre juridique applicable. Le risque d’un coup de frein est fort alors que les refus de permis de construire se multiplient et qu’aucune éolienne ne tourne encore au large des côtés françaises.

Le piège des ICPE

L’une des principales conclusions du rapport Ollier tend à soumettre les éoliennes aux règles de la police des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). Il s’agit ici d’une revendication ancienne des anti-éoliens. Le but est de modifier l’image des éoliennes : l’accent ne sera plus mis sur leur contribution à la protection de l’environnement mais sur leurs risques supposés. Au-delà, qualifier les éoliennes d’installations classées permet aussi d’accroître la complexité de leur procédure d’autorisation. Enfin, une autorisation supplémentaire sera nécessaire : l’autorisation d’exploiter au titre de la police des ICPE. Les opposants à un projet éolien disposeront d’une autorisation de plus à attaquer devant le tribunal administratif pour en solliciter l’annulation.

Le risque juridique et contentieux lié à la création d’un parc éolien va donc s’envoler. En réalité, le classement ICPE est une mauvaise réponse à une bonne question : celle de l’aménagement du territoire. La police des ICPE a en effet pour objet premier le risque, non la planification du développement de l’éolien sur le territoire.

Reste que le Gouvernement a sans doute gagné cette bataille du classement ICPE des éoliennes le jour où il a proposé un “compromis” aux termes duquel les éoliennes feraient l’objet d’un régime spécial au sein de la police des ICPE. Faux compromis. En effet, le classement en 3ème régime – dit de l’enregistrement – mécontenterait tout le monde : les anti éoliens qui militent pour des contraintes plus fortes et les opérateurs qui seront confrontés à un régime qui se caractérise par de nombreux motifs d’incertitude et d’insécurité juridique.

Le risque de la planification

Planifier le développement des parcs éoliens est nécessaire pour en garantir l’acceptabilité sociale et l’insertion paysagère. De ce point de vue, le classement ICPE n’apportera rien. La réalité actuelle est toutefois celle d’un empilement de documents de planification de valeur juridique inégale : Zones de Développement de l’Eolien (qui ne devraient pas être des documents d’urbanisme), Schémas départementaux, régionaux, d’énergies renouvelables…. Cet empilement multiplie les dispositions qui seront opposées en pratique et/ou en droit aux demandes d’autorisation de création d’éoliennes. Il n’est pas certain qu’il améliore réellement les conditions d’implantation des turbines. Il est certain qu’il fragilise les investissements dans ce secteur.

L’enjeu de l’acceptabilité sociale

Cette complexité du droit comporte un risque pour le développement maîtrisé de l’éolien. Le débat actuel entre les “pour” et les “contre” mériterait d’être dépassé. Cela suppose une réflexion de fond sur l’évolution de notre modèle énergétique et sur l’acceptabilité sociale des éoliennes et autres centrales solaires. Ici aussi, revenir à une logique de développement durable pourrait s’avérer utile : penser l’écologie et l’économie dans le même temps. Il est probable que les obstacles au développement de cette énergie seront levés le jour où son intérêt économique – et pas uniquement environnemental – sera perçu du plus grand nombre. Déjà des expériences de participation citoyenne à la réalisation de projets ont lieu. Sans doute une piste de réflexion à approfondir.”

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