Environnement : quelle responsabilité pour les sociétés mères ?

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photo-ag1Alors que le juge peut être amené à se prononcer sur la responsabilité des groupes sur leurs filiales en cas de dommage à l’environnement, comme dans l’affaire AZF, les engagements pris par les entreprises en matière de développement durable pourraient leur être opposés.

L’analyse d’Arnaud Gossement, avocat associé en droit de l’environnement au Cabinet Huglo-Lepage & Associés. Docteur en droit, il enseigne cette discipline à l’Université Paris I et à Sciences Po Paris et tient une chronique juridique de l’actualité environnementale dans l’émission « Green Business » sur BFM radio.

« Il n’est pas admissible qu’une maison-mère ne soit pas tenue pour responsable des atteintes portées à l’environnement par ses filiales. Il n’est pas acceptable que le principe de la responsabilité limitée devienne un prétexte à une irresponsabilité illimitée. Quand on contrôle une filiale, on doit se sentir responsable des catastrophes écologiques qu’elle peut causer. On ne peut pas être responsable le matin et irresponsable l’après midi ». Ces mots ont été prononcés par le Président de la République, le 25 octobre 2007, dans son discours de restitution des conclusions du Grenelle de l’environnement. Depuis lors, la question de la responsabilité des sociétés mères est restée posée en même temps qu’elle demeurait dans l’actualité.

Metaleurop : la prise de conscience. Le drame de Metaleurop, cette entreprise de Noyelles-Godault à l’origine d’une grave pollution au plomb et d’un drame à la fois social et environnemental, est certainement à l’origine du débat public relatif à la responsabilité des sociétés mères. Par arrêt du 19 avril, la Cour de cassation a toutefois rappelé le droit existant caractérisé par le principe d’autonomie de la personne morale : la mère n’est ici responsable que si est rapportée la preuve de « relations financières anormales constitutives d’une confusion du patrimoine de la société-mère avec celui de sa filiale ».

Dans une autre affaire de pollution par une installation classée, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a également rappelé que la mère n’est responsable de la remise en état d’un site exploité par une filiale disparue qu’à défaut de la preuve d’une reprise des actifs du dernier exploitant. Il résulte donc de la jurisprudence civile et administrative que la responsabilité de la société mère ne peut être recherchée qu’au moyen de preuves délicates à administrer. La collectivité publique est alors appelée à prendre en charge ce passif environnemental, ce qui a pu susciter une certaine émotion. Emotion d’autant plus grande que les sociétés mères s’engagent parfois aux côtés de leurs filiales pour l’obtention d’autorisation d’exploiter des activités industrielles mais se désengagent en cas de problème.

Grenelle : la prudence du législateur. Le rapport de la Commission présidée par Corinne Lepage avait formulé un certain nombre de propositions de modification du droit positif pour y introduire le principe de la responsabilité environnementale des sociétés mères. La Commission a notamment proposé un article 1384-1 du code civil ainsi rédigé : « Toute société répond du dommage environnemental ou sanitaire causé par la faute de ses filiales ou des sociétés qu’elle contrôle au sens de l’article L. 233-3 du Code de commerce en cas de défaillance de ces dernières ». Le législateur a cependant fait montre d’une très grande prudence à ce sujet. Ainsi, lors des débats préalables au vote de la loi du 1er août 2008 relative à la responsabilité environnementale, les parlementaires ont refusé d’élargir la définition de la notion d’ « exploitant » responsable à la société mère.

De même, les dispositions du projet de loi « Grenelle II » témoignent d’une certaine réserve et ne comportent que deux « nouveautés ». Tout d’abord, une société pourra exécuter volontairement les obligations de prévention et de réparation fixées par le code de l’environnement, à la place d’une autre société dont elle a le contrôle. Ensuite, la possibilité pour le Préfet de mettre à la charge de la société mère le passif environnemental de sa filiale liquidée est entrouverte.

Malgré ces dispositions, il semble que le débat ait besoin d’être approfondi et porté par l’Union européenne de manière à ce que l’approche des 27 Etats membres soit, sur ce point, cohérente. Reste que ce débat n’apparaît pas pour l’heure prioritaire, comme cela est apparu lors de la présidence française de l’Union européenne, largement consacrée au Paquet énergie-climat.

Le Juge et le développement durable. Si le législateur se montre prudent, c’est peut être le Juge qui sera de nouveau interrogé. Tel a été le cas dans le procès AZF lors duquel le Juge a déclaré recevable une citation directe dirigée contre la société Total, dont la filiale a connu la catastrophe du 21 septembre 2001.

Sur un autre plan, les entreprises n’ont généralement pas conscience que leurs écrits relatifs à leurs politiques de développement durable – plans, rapports ou publicités – contiennent des informations et engagements qui sont susceptibles de leur être opposés. En clair, la valeur juridique de ces documents doit être étudiée et il est probable que des particuliers ou des associations se prévaudront de l’inexactitude de ces données ou de la méconnaissance de ces engagements pour rechercher la responsabilité délictuelle ou contractuelle desdites entreprises. En ce sens, une société mère qui se prévaut d’une politique de groupe citoyenne ou exemplaire aura peut-être plus de peine à justifier des stratégies de filialisation d’activités ou de recours à la sous-traitance qui peuvent être à l’origine, notamment, de risques environnementaux.”

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